Les – vrais – aventuriers de l’Arche perdue
Pour la première fois, une mission scientifique a fouillé l’étrange colline de Kiriath-Jearim (près de Jérusalem). Selon la Bible, l’Arche d’alliance, le coffre sacré qui contenait les Tables de la Loi, y aurait séjourné pendant vingt ans, avant de disparaître à jamais.
Le peuple hébreu était dans le désert depuis plusieurs mois, fuyant l’Égypte qui l’avait réduit en esclavage, emmené par Moïse vers la Terre promise, quand Yahvé (Dieu) scella une alliance avec lui. En lui livrant, par l’intermédiaire du patriarche, les Dix Commandements gravés sur des tables de pierre : «Tu n’auras pas d’autres dieux que moi ; tu ne tueras pas ; tu ne prendras pas la femme d’un autre ; tu ne voleras pas ; tu n’accuseras personne injustement ; tu ne seras pas jaloux des autres, ni de ce qui leur appartient…» Le livre de l’Exode, dans l’Ancien Testament, évoque-t-il ainsi l’épisode de l’Alliance du Sinaï…
Premières fouilles
Entre 2017 et 2019, une mission franco-israélienne, composée de l’archéologue Israël Finkelstein, du bibliste et exégète du Collège de France Thomas Römer, s’est rendue à Kiriath-Jearim. Ce lieu, censé avoir été le sanctuaire de l’Arche d’alliance et qui abrite un couvent, n’avait encore jamais été fouillé. Les scientifiques y ont analysé la manière dont le texte biblique s’accorde ou non avec les fouilles et vice versa. Une enquête passionnante diffusée samedi à 20h50 sur Arte, et le documentaire «L’Arche d’alliance – Aux origines de la Bible».
Thomas Römer, pourquoi l’Arche d’alliance continue-t-elle de fasciner ?
En partie à cause de sa disparition mystérieuse : elle n’est plus mentionnée dans la Bible après la destruction du premier Temple par les Babyloniens en 587 avant notre ère. Toutes sortes de théories se sont développées autour du destin de ce coffre insaisissable : son transfert en Éthiopie, son enterrement au fond du lac de Galilée. On l’a cherché sous la cathédrale de Chartres et même les nazis s’y sont intéressés. Dans les années 1980, les aventures d’Indiana Jones ont contribué à nourrir ce fantasme millénaire.
Qu’en dit la Bible ?
Selon le récit biblique, cette arche contient les Tables de la Loi reçues par Moïse sur le mont Sinaï. Elle est transportée par les Hébreux, lors de la conquête de la Terre promise, jusqu’au sanctuaire de Silo, dans le nord d’Israël. Lors d’une guerre, les Philistins s’en emparent. Elle leur attire tant de désastres qu’ils la rendent aux Hébreux. Elle parvient ainsi à la ville israélite de Bet Shemesh où la colère divine s’abat à nouveau sur les habitants qui auraient tenté de l’ouvrir. Pour s’en débarrasser, ils l’envoient sur la colline de Kiriath-Jearim – le site que nous avons fouillé – où elle est gardée par le prêtre Abiathar, avant que le roi David ne l’installe à Jérusalem au Xe siècle avant notre ère. Salomon, le fils de David, enfin, l’aurait placée dans le saint du saint du temple qu’il a construit.
Pourquoi vous lancer sur ses traces ?
L’idée n’était pas de retrouver l’Arche. Il s’agissait de comprendre le rôle de ce site biblique encore jamais exploré, Kiriath-Jearim, dans un pays, Israël, certainement le plus fouillé au monde. L’absence d’investigations archéologiques sur cette colline s’explique par la présence au sommet d’un monastère et d’une église, protégés par la France, puisque des sœurs d’un ordre français, qu’il a fallu convaincre, s’y sont installées dans les années 1920, sur les ruines d’un sanctuaire byzantin.
N’est-ce pas périlleux de s’attaquer à l’histoire biblique en Israël ?
Nous abordons la Bible comme un document, un puzzle élaboré au fil de différents contextes historiques et idéologiques que nous interrogeons. Bien sûr, déconstruire ce récit n’est pas toujours bien accueilli, mais les religieux, même orthodoxes, ont des réactions plus nuancées qu’on ne le croit.
Qu’avez-vous mis au jour au cours de cette mission ?
Des photos aériennes de la colline laissaient déjà deviner une plateforme façonnée par l’homme. Nous avons découvert un mur de fortification, celui d’un ancien bâtiment ou d’un sanctuaire qui aurait accueilli l’Arche, légitimant le lieu sur le plan religieux. Les technologies actuelles permettent de le dater du VIIIe siècle avant notre ère, soit près de deux siècles après la date de l’installation de l’Arche à Jérusalem par David, selon le récit biblique.
Ce récit a-t-il aussi vocation à accompagner l’avènement du monothéisme ?
Pas dans l’immédiat, mais la mise en valeur de Jérusalem en tant que seul sanctuaire légitime va contribuer à construire l’idée que Yahvé, le dieu de cette cité, est le seul qu’Israël doit vénérer. On passe d’abord par une étape de monolâtrie, où l’on ne nie pas encore les autres cultes. Le monothéisme se mettra en place plus tard, après la destruction du Temple.
Dans le film, vous êtes ému lors de l’exhumation d’une petite figurine…
C’est, semble-t-il, la tête d’une statuette d’Ashera, une divinité féminine des royaumes d’Israël et surtout de Juda, qui, au regard de sa taille, servait dans le cadre du culte familial. Elle témoigne ainsi d’une activité religieuse dans les maisons autour du site et donc aussi de l’importance de ce lieu. Il est rare de trouver de petits vestiges aussi anciens dans des terrains en terrasse, l’érosion ayant fait son œuvre. Nous espérons en apprendre davantage à la faveur d’une troisième saison de fouilles.
Entretien : Sylvie Dauvillier
Cet article est paru dans le magazine Télépro du 7/1/2021
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