Les vraies héroïnes de la guerre 14-18
La Première Guerre mondiale a marqué un tournant dans la vie des femmes.
Samedi soir à 21h, «Retour aux sources» (La Trois) s’intéresse à l’impact de la guerre 14-18 sur la vie des femmes avec «Mémoire de nos mères», un documentaire qui mêle joliment archives, témoignages et images d’animation. Marianne Sluszny en est la coauteure.
Quand on pense à la Première Guerre mondiale, on pense aux poilus… L’histoire aurait-elle oublié les femmes ?
Complètement. Quand le roi Albert Ier rentre à Bruxelles quelques jours après l’Armistice, il annonce qu’il accorde le suffrage universel… aux hommes ! Après quatre ans de guerre, le père de la nation récompense les fils de la nation. Comme si les filles de la nation, elles, n’avaient rien fait !
Et qu’ont-elles fait ?
On connaît les héroïnes, Édith Cavell ou Gabrielle Petit. Les femmes ont été impliquées dans les réseaux d’espionnage et d’évasion, elles ont travaillé pour la presse clandestine… Mais ce n’est que la pointe de l’iceberg. Derrière, il y a toutes celles qui ont porté le pays à bout de bras. Des hommes étaient au front, les autres avaient perdu leur travail. Les femmes se sont débrouillées pour que la vie continue. Certaines se sont même livrées au marché noir ou à la prostitution pour faire vivre leur famille.
À la différence de la France, tous les hommes belges n’ont pourtant pas été mobilisés…
Non, mais à la différence de la France, notre pays a été totalement occupé et son industrie démantelée par les Allemands. À la fin de la guerre, il n’y a plus rien. Le pays compte pas moins de 600.000 chômeurs.
Quel est l’impact de cette crise sur les femmes ?
Quand la vie redémarre, les femmes sont exclues de l’emploi. Il faut laisser les places aux hommes. Mais avec la guerre, les femmes ont commencé à sortir de leur foyer et elles n’ont pas envie d’y rentrer.
Que revendiquent-elles au début des années 1920 ?
Les suffragettes revendiquent le droit de vote, mais la préoccupation essentielle des femmes, c’est le droit au travail. Elles veulent pouvoir travailler comme les hommes. Cela passe par l’accès à l’éducation. Il faut que les filles puissent faire des études moyennes, puis des études supérieures. On voit apparaître de nouvelles filières : sténodactylo, assistante sociale, infirmière… Cela nous paraît aujourd’hui très genré, mais c’étaient de belles avancées pour l’époque. Ensuite, il faut permettre l’accès aux métiers. Marie Popelin a obtenu son diplôme de docteur en droit à l’ULB en 1888, elle est morte en 1913, mais la profession d’avocat n’a été accessible aux femmes qu’en 1922…
À l’encontre de tout ce mouvement, le gouvernement a pourtant une politique nataliste…
La loi de 1923 punit plus sévèrement que jamais l’avortement et la contraception. Alors qu’il n’y a pas de vraie crise de natalité en Belgique. Une petite baisse pendant les années de guerre, c’est vrai. Par contre, la mortalité des enfants en bas âge a été moindre grâce à l’aide humanitaire. L’objectif premier de cette loi n’est donc pas de repeupler la Belgique, mais de ramener les femmes au foyer. L’ONE est créée en 1919, plein de choses sont mises en place pour les mamans et les enfants, mais pas de crèches… C’est assez sournois.
Dans le documentaire, vous évoquez aussi la vie intime des couples après-guerre…
J’ai été marquée par la photo d’un soldat revenu amputé des deux jambes. Il était posé sur une table, entouré de sa femme et de ses filles. Quelle était la vie de cette famille ? Comment vit-on avec un mari défiguré ou qui souffre de choc post-traumatique ? Ce sont des questions que l’on ne pose jamais.
Cet article est paru dans le Télépro du 5/5/2022
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