Les tourbières en eaux troubles

Les tourbières des Hautes-Fagnes, au sommet de la Belgique, sont des zones à protéger absolument © Simo Sipola/YLE

Pollution, réchauffement climatique, incendies, dégradations : les ennemis de ces alliées précieuses de la planète sont nombreux. Rendez-vous ce samedi soir sur Arte pour découvrir «Le Mystère des tourbières».

Connaissez-vous le Yeun Elez, en Bretagne ? Au cœur des monts d’Arrée, c’est une vaste tourbière vieille de 5.000 ans. La légende raconte que jadis, une boue mouvante en occupait le centre. Un marais gigantesque à la réputation terrifiante. Le prêtre de la paroisse de l’Arrée y emmenait les revenants transformés en chiens noirs. Après leur avoir passé son étole autour du cou, le prélat les poussait dans les eaux putrides. Le Yeun Elez était la porte de l’enfer !

Belge tourbe

Amants pris à jamais par la Fagne à Jalhay, randonneur d’Herbiester sauvé par une apparition, bête mystérieuse à Polleur… : les tourbières de chez nous ont aussi inspiré une multitude de récits fantastiques. Longtemps considérées comme des lieux nuisibles par l’homme, celui-ci doit aujourd’hui voir en elles des alliées indispensables. «Une tourbière, c’est une zone humide colonisée par la végétation», explique le Pôle-relais tourbière s’occupant de la protection et de la gestion de ces zones en France. Beaucoup de mousses, des sphaignes, et de l’eau stagnante en abondance. Par contre, très peu d’oxygène dans ces eaux et donc très peu de champignons et de bactéries pour décomposer les végétaux. Quand les mousses meurent, elles mettent énormément de temps à se désagréger. Les débris s’accumulent (l’épaisseur augmente de près de 1 mm par an et peut atteindre plusieurs mètres) et forment une litière, une «roche végétale», très riche en carbone (au moins 20 %) : la tourbe.

Un rôle capital

Cet écosystème apparu il y a 12.000 ans, lors de la dernière glaciation, est d’une importance capitale pour l’humanité. «Protéger les tourbières, c’est protéger la planète», déclare le Programme des Nations unies pour l’environnement (UNEP). Elles ne représentent que 3 % de la superficie du globe, mais stockent près d’un tiers du carbone terrestre, deux fois plus que toutes les forêts du monde. A contrario, leur destruction joue un rôle dans le dérèglement climatique. Pour le média indépendant en ligne The Conversation, les tourbières dégradées sont responsables d’environ 5 % des émissions globales de gaz à effet de serre. Vitales pour la planète sur le plan écologique, les tourbières ne se limitent pas à ce rôle.

L’Homme de Tollund

Sur le plan archéologique et ethnologique, ces milieux humides regorgent d’informations. L’absence d’oxygène dans le sol favorise la conservation des organismes. Grâce aux grains de pollens piégés dans ses strates, les scientifiques remontent le temps et reconstituent les paysages végétaux au fil des siècles. Ils y retrouvent aussi des vestiges d’activités humaines (barques, chemins, huttes) et… des corps : «les hommes des tourbières». Leur particularité ? Selon le site Futura Sciences, alors que le malheureux pris au piège dans des marais sera retrouvé des années plus tard à l’état de squelette, le corps découvert dans une tourbière est momifié naturellement. L’un d’entre eux est aussi célèbre que mystérieux. Retrouvé au Danemark en 1950, «l’homme de Tollund» vivait dans la région il y a plus de 2.000 ans. Il avait entre 30 et 40 ans et avait fait un bon repas avant de mourir. Les circonstances de son décès ne sont pas élucidées. Si un nœud coulant autour du cou ne laisse aucun doute sur sa pendaison, les chercheurs s’interrogent sur les raisons de sa mort : exécution ou sacrifice ?

Menaces

Valeurs biologiques (elles sont le refuge de nombreuses espèces vertébrées et invertébrées), valeurs économiques (la tourbe est utilisée en jardinage et comme combustible domestique dans plusieurs pays), purificatrices de l’air et de l’eau… les tourbières sont menacées. Les pollutions, le drainage (pour planter des épicéas), les incendies, le réchauffement climatique et leur assèchement, l’extraction excessive de la tourbe, la surfréquentation touristique… les ennemis sont nombreux. En menaçant la tourbière, c’est à nous qu’ils s’attaquent.

Cet article est paru dans le Télépro du 11/08/2022.

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