Les laids délires de Baudelaire
Si l’œuvre du poète éblouit, l’homme était assez détestable : un aristo aussi réac que libertaire, misogyne misanthrope et dandy débauché…
Son nom évoque le souvenir des bancs d’école… Charles Baudelaire (1821-1867) était ce poète maudit, recherchant le beau dans le spleen. Ainsi qu’il en fait la démonstration dans «Les Fleurs du mal» (1857), le recueil de sa vie. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il était une authentique crapule. À l’occasion du bicentenaire de sa naissance, un «Doc stupéfiant» de France 5 se penche ce vendredi à 20h50 sur le paradoxe d’un génie, certes incompris, mais aussi un être exécrable.
Punk défoncé
Baudelaire n’avait que faire des conventions. «Il se teignait les cheveux en vert, se baladait avec un boa en plumes d’autruche autour du cou et tenait en laisse un mouton dont il avait fait teindre la laine en rose», raconte l’auteur et biographe du poète, Jean Teulé (*).
Outre ses extravagances vestimentaires, le dandy consommait toutes sortes de drogues, allant du haschisch à l’opium ou l’éther : «Le matin, à jeun, il prenait l’équivalent d’une barrette de shit dans son thé», évalue Teulé, qui le compare à un «punk défoncé du matin au soir». Un portrait très éloigné de celui présenté par nos professeurs…
À 45 ans, il en paraît 80 ! Provocateur né, il aurait dit à une mère de famille : «C’est à vous cet enfant qui joue là ? Grands dieux, Madame, il est horrible !»
Enfance
Le marginal justifie ses troubles par sa naissance. Son père, un ancien prêtre fortuné, a épousé une jeunette de 34 ans sa cadette. Il n’a que 6 ans lorsqu’il décède. Qu’importe, il a enfin sa mère pour lui tout seul. Il lui voue un véritable culte, au point de «respirer les odeurs de ses culottes», poursuit le biographe.
Son bonheur est de courte durée : le général Aupick devient son beau-père. Charles le déteste ! Après une scolarité inégale, il obtient son baccalauréat en 1839. Mais le jeune homme aspire à une vie de bohème. Sa famille, désespérée, l’envoie en Inde. Après cet exil forcé, il rentre à Paris, la tête chargée de rêves, d’exotisme et… de sensualité.
Misogyne
Désormais majeur, il empoche l’héritage paternel qu’il dilapide dans les bars et bordels. Le dépensier est alors placé sous tutelle. Une trahison qu’il ne pardonnera pas à sa mère et qui nourrira son penchant misogyne. Contraint de travailler pour subvenir à ses besoins, il devient journaliste et critique d’art.
C’est à cette époque qu’il rencontre Jeanne Duval, entre autres prostituées. Cette grande métisse – elle mesure 1 m 84, lui 1 m 65 -, qu’il nomme Vénus noire, devient sa maîtresse et sa muse. Elle l’inspire notamment pour «La Chevelure» et «Parfum exotique» figurant dans «Les Fleurs du mal». Le couple navigue entre passion et destruction : elle lui refile la syphilis, il la bat copieusement. Elle dira qu’«avoir un rapport intime avec lui, c’est comme une opération chirurgicale sans anesthésie»…
Crénom, Bruxelles !
Quand Baudelaire découvre l’écrivain américain Edgar Poe, c’est la révélation ! Il voit en lui son alter ego. Il apprend l’anglais en autodidacte, devient son traducteur attitré et le dévoile au public français. Mais l’argent vient à manquer. Criblé de dettes, il se rend à Bruxelles pour y donner des conférences. Un échec ! Il maudit la Belgique dans un pamphlet. En mars 1866, une mauvaise chute le rend hémiplégique. Il ne prononce plus qu’un seul mot : «Crénom !». Ironie du sort, pour un illustre poète, que de finir à 46 ans… sur un juron !
À lire Jean Teulé, «Crénom, Baudelaire !», 432 pages, (éd. Mialet Barrault, 2020)
Cet article est paru dans le Télépro du 17/6/2021
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