Les Étrusques en toutes lettres
Avant les conquêtes romaines, les Étrusques ont constitué une civilisation florissante au sud de l’Europe, mais toujours baignée de mystère.
En suivant le travail d’archéologues sur une sépulture en Corse, un documentaire d’Alexis de Favitski («Les Étrusques – Une civilisation mystérieuse en Méditerranée», samedi à 20h50 sur Arte) éclaire d’un jour nouveau l’histoire de ce peuple antique. Entretien avec l’étruscologue français Gilles van Heems (*).
En quoi les Étrusques demeurent-ils mystérieux ?
Si toutes les civilisations du passé conservent leurs zones d’ombre, celles-ci sont peut-être plus importantes encore pour les Étrusques que pour les Romains ou les Grecs, dans la mesure où presque toute leur littérature a disparu. Les inscriptions conservées, essentiellement sur des supports non périssables tels que des vases, sont par ailleurs souvent brèves et difficiles à déchiffrer. N’appartenant pas, comme le latin ou le grec, à la famille connue des langues indo-européennes, l’étrusque résiste encore partiellement à la compréhension : un handicap considérable, car les linguistes ne peuvent pas comparer les mots qu’ils découvrent à ceux d’autres langues.
L’écriture et la littérature faisaient donc partie intégrante de cette civilisation ?
La civilisation étrusque était précocement et profondément lettrée. L’écriture y jouait un rôle majeur, certainement plus important que dans toutes les autres sociétés de l’Italie de cette époque, notamment pour des raisons religieuses. Car contrairement aux Romains et aux Grecs, les Étrusques pratiquaient une religion fondée sur un corpus de textes révélés par les dieux, c’est-à-dire des livres sacrés.
Que nous apprennent les inscriptions découvertes en Corse dans la sépulture d’Aléria ?
Nous disposons d’une trentaine d’inscriptions figurant sur des vases, essentiellement des noms de défunts, qui représentent une sorte d’élite économique. Elles démontrent que, sur le site, le monde étrusque était considéré comme le référent culturel pendant une période qui s’étend du V e au III e siècle avant J.-C. En effet, bien que certains habitants soient grecs, italiens, voire indigènes, toutes les inscriptions sont en étrusque. Cela met aussi en lumière le creuset de populations que constituait ce port marchand.
Ces découvertes posent aussi la question de l’acculturation et de l’identité étrusque…
À cette période de l’Antiquité, l’étrusque servait sans doute de langue et d’écriture pour toutes les populations de la région. Le commerce demeurait alors une activité complexe et dangereuse, qui nécessitait de nouer des contacts et des relais en différents endroits, et donc de communiquer et de collaborer. Je m’attache à tenter de comprendre ces dynamiques entre les Étrusques et les autres peuples qui naviguaient à l’époque en Méditerranée nord-occidentale.
Entretien : Laura Naimski
(*) Gilles van Heems est maître de conférences en langue et littérature latines à l’université Lumière Lyon 2.
Cet article est paru dans le Télépro du 16/6/2022
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