Le tatouage, une tradition japonaise bien «encrée»

Chez certains tatoueurs, l’horimono («chose gravée») se réalise encore selon la méthode centenaire du tebori («gravé à la main»), qui nécessite de très nombreuses heures de travail et une bonne dose de courage © Getty Images

L’histoire de l’horimono, tatouage traditionnel nippon, est faite de traditions et d’interdictions, d’admiration et de répulsion. Ce samedi à 17h50, Arte diffuse le documentaire «Des estampes sur la peau – Le tatouage au Japon».

Selon le SPF santé, 500.000 tatouages sont réalisés chaque année en Belgique. Et parmi les inspirations plébiscitées, les images japonisantes ont leur petit succès.

Tradition millénaire

Le tatouage existe au Japon depuis la Préhistoire, comme en attestent des statuettes en terre cuite ornées de symboles tribaux vieilles de plusieurs millénaires. Parmi les premiers peuples, les Aïnous se protégeaient du mauvais esprit grâce aux tatouages et les femmes marquaient les contours de leur bouche à l’encre lorsqu’elles se mariaient. Tout au Sud, sur l’archipel d’Okinawa, c’est en ornant leurs mains que celles-ci affichaient leur statut d’épouse. Mais pour comprendre l’histoire bien particulière de l’horimono, il faut faire un bond dans le temps jusqu’à l’époque Edo (1603-1868). En 1720, l’irezumi («insérer de l’encre») est instauré par les classes dirigeantes à des fins punitives. Les criminels sont identifiés par des symboles variant selon leur crime, tatoués sur leur avant-bras, voire leur front.

Évolution

Influencé par le succès de l’ukiyo-e (l’estampe sur bois) et ses thèmes récurrents (paysages, scènes de théâtre, personnages folkloriques), le tatouage se mue en un choix esthétique, permettant parfois de recouvrir la marque infamante imposée par le gouvernement. L’année 1827 marque un tournant décisif. Utagawa Kuniyoshi, maître de l’estampe, se lance dans une série d’œuvres inspirées du «Suikoden» («Au bord de l’eau»), roman chinois comptant les aventures de bandits luttant contre la corruption du pouvoir. Ceux-ci sont représentés dans des scènes héroïques, le corps couvert de créatures mythologiques et d’éléments religieux.

Force et courage

Admiratifs, les membres de la classe moyenne, notamment les artisans, reproduisent ces images sur eux. À cette époque, les ouvriers sont aussi pompiers et défendent la ville, surtout constituée de bâtiments en bois, en détruisant les édifices touchés pour stopper la propagation des incendies. Ils couvrent alors leur corps de tatouages, notamment liés à l’eau, comme protection spirituelle contre les flammes. Les habitants de leur quartier, reconnaissants, participent souvent aux frais de leurs tatouages, réalisés à la main à l’aide d’une aiguille fixée à une tige de bambou. Les seules couleurs disponibles sont alors le noir et le vermillon. Les pigments nécessaires pour obtenir ce rouge contenant alors du mercure, les tatouages provoquaient souvent de fortes fièvres. Plus une œuvre contenait de rouge, plus son porteur était respecté pour son endurance à la douleur.

Interdiction, réhabilitation, défiance

Le début de l’ère Meiji (1868-1912) marque la fin de l’isolement du Japon, mais aussi, théoriquement, celui du tatouage, interdit en 1872 par peur de renvoyer une image barbare au reste du monde. Il se fait alors clandestin et se cache sous les kimonos. Ce qui n’empêche pas les célébrités de garder une trace de leur passage sur l’archipel, comme les futurs George V d’Angleterre et Nicolas II de Russie. Après la Seconde Guerre mondiale, les Américains, adeptes du tattoo, poussent le gouvernement à lever cette interdiction. La rencontre entre les soldats de l’Oncle Sam et les horishi (tatoueurs japonais) est capitale dans l’évolution de l’horimono. Grâce à eux, ils découvrent la machine à tatouer électrique, mais parviennent aussi à se procurer de nouvelles couleurs. Le tatouage n’en reste pas moins suspect pour une part importante de la population, qui l’associe aux yakuzas, membres de la mafia nippone. Nombre de onsen (sources thermales) sont encore interdits aux tatoués. Malgré tout, certains continuent d’affronter plusieurs centaines d’heures de piqûres pour orner leur corps d’une œuvre qui, ils en sont convaincus, rend leur vie meilleure.

Cet article est paru dans le Télépro du 25/1/2024

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