Le salut des gladiateurs ? Une idée reçue !
Non, les gladiateurs romains ne pensaient pas saluer pour la dernière fois l’Empereur, à leur entrée dans l’arène.
«Bonjour César, ceux qui vont mourir te saluent» («Ave Caesar, morituri te salutant»). Popularisée par la littérature, le cinéma et la bande dessinée, cette phrase est aussi prononcée dans le film «Gladiator» de Ridley Scott (ce dimanche à 20h sur Club RTL). Selon une idée très répandue, cette formule célèbre était adressée à l’empereur de Rome par les gladiateurs de l’Antiquité à leur entrée dans l’arène, avant un combat.
Si elle est authentique, elle n’a pourtant rien à voir avec le monde de la gladiature. Explications.
Tout d’abord, deux détails auraient dû nous mettre la puce à l’oreille, comme l’expliquait le latiniste Michel Dubuisson. «D’abord, «ave», en latin, n’est pas un «salut» ou un «bonjour» quelconque (comme «salve») ; c’est le salut militaire réglementaire. Et les gladiateurs ne sont évidemment pas des soldats. Un gladiateur même retraité ne pourra d’ailleurs jamais s’engager dans l’armée : la profession qu’il a exercée le marque à jamais d’«infamia».»
Gladiateurs chouchoutés
Ensuite, comment les gladiateurs pouvaient-ils être sûrs de leur mort à l’entrée dans l’arène ? D’autant que chaque combat consacre en principe au moins un vainqueur. «D’ailleurs, un gladiateur bien entraîné est un investissement qu’on ne sacrifiera pas à la légère – qu’on chouchoute autant, en fait, qu’un footballeur d’aujourd’hui», poursuivait Michel Dubuisson.
Ainsi, «à la fin de chaque combat, du fait de leur coût exorbitant, les hommes politiques qui produisent le spectacle réfléchissent à deux fois avant de faire exécuter le vaincu», explique Éric Teyssier dans «Gladiateurs et graines de stars» (Historia). «De toute façon, les spectateurs ne demandent la mort qu’une ou deux fois sur dix. Quand ils le font, c’est parce que le vaincu a mal combattu ou s’est montré lâche. Pour tenter d’influencer l’«editor» – l’organisateur des combats qui préside les jeux -, ils ne retournent pas leur pouce – une autre idée reçue -, mais tendent la main ouverte vers le vaincu. Pour demander sa grâce, ils ne lèvent pas non plus le pouce, mais agitent leur serviette.»
La bourde de Claude
Pour autant, la formule «Ave Caesar, morituri te salutant» est bel et bien attestée dans les sources antiques, précisément dans «Vies des douze Césars» de Suétone. Mais à une seule reprise et pour un événement précis. Au I er siècle de notre ère, l’empereur Claude (10-54) réalise de grands travaux, dont l’assèchement du lac Fucin grâce à la construction d’un canal d’écoulement.
Pour célébrer cet ouvrage et avant l’étape finale d’évacuation des eaux, l’Empereur, très friand des jeux de cirque, y organise une naumachie, soit un spectacle représentant une bataille navale. Deux flottes, représentant les Siciliens et les Rhodiens, doivent s’affronter. Les combattants sont des prisonniers de guerre ou d’anciens soldats condamnés à mort pour désobéissance (d’où le «salut» militaire).
Avant le début du spectacle, ils prononcent la fameuse phrase, à laquelle Claude répond en marmonnant «ou pas» ! Les soldats y voient une volonté de l’Empereur de leur laisser la vie sauve et refusent d’abord de combattre. «Finalement, Claude accorde leur grâce à tous», écrit Anne Bernet dans «Verus le gladiateur, star de l’amphithéâtre» (Historia). «La naumachie sanglante se transforme en charmant divertissement nautique, au grand dam des spectateurs venus voir autre chose. Après ce désastre, personne ne se servira plus jamais de cette formule ambiguë.»
Cet article est paru dans le magazine Télépro du 17/12/2020
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