Le marché de l’art selon Ambroise Vollard

Ambroise Vollard a été immortalisé par certains des artistes dont il a favorisé la renommée, notamment, bien sûr, Paul Cézanne © France 5/Slow Production

Si les noms de Paul Gauguin, Paul Cézanne ou Pablo Picasso ne voussont pas inconnus, celui d’Ambroise Vollard ne vous dit probablement rien. Et pourtant…

Celui qui « gagna sa fortune en dormant », tant les visiteurs de sa galerie l’auraient souvent trouvé somnolant, est aujourd’hui considéré comme le premier grand marchand d’art moderne (France 5 revient sur sa «fabuleuse histoire» vendredi à 23h). Sans Ambroise Vollard, peut-être point de Van Gogh, de Renoir ou de Degas !

Coup de foudre

Né le 3 juillet 1866 à Saint-Denis, à La Réunion, Ambroise est l’aîné de dix enfants, nés de l’union entre Marie-Louise-Antonine Lapierre et Alexandre Vollard. Renonçant à une carrière médicale lorsqu’il découvre que la vue du sang ne lui réussit guère, il est poussé par son père à suivre ses traces et à se lancer dans le droit. Ambroise quitte alors la colonie française pour rejoindre le continent et étudie deux ans à Montpellier avant de monter à Paris. Sur son temps libre, il se perd dans les rues de la capitale et chine dans les caisses de livres, d’estampes et de dessins le long de la Seine. Tombé inexorablement amoureux du Paris artistique, il abandonne ses études pour devenir marchand d’art.

The place to be

Après une formation auprès d’un vendeur plus expérimenté, il prend rapidement la décision audacieuse de se lancer à son compte et ouvre, en 1890, une petite boutique dans une chambre en location. Le succès n’est pas immédiat, mais Ambroise a du flair et parvient à se constituer les fonds nécessaires pour s’installer au 37, rue Laffitte, adresse toute proche des principales galeries parisiennes. Profitant du déclin du très académique Salon et des soucis financiers de Paul Durand-Ruel, grand collectionneur d’impressionnistes, Vollard se crée une place et un nom.

Sacrée écurie

Premier coup de génie : faire l’acquisition auprès de la veuve d’Édouard Manet de peintures et de dessins non achevés de l’impressionniste, qu’il présente lors de sa première exposition. Celle-ci remporte un franc succès, épatant notamment Edgar Degas et Auguste Renoir, qui choisissent Vollard pour les représenter. Paul Gauguin, Henri Matisse et Vincent Van Gogh trouvent aussi leur place sur ses murs. Mais le travail du Néerlandais rencontre peu d’attention : « Je pensais qu’il n’avait aucun avenir et j’ai laissé partir ses tableaux pour presque rien », regrettera-t-il… Mais il est un artiste dont le nom restera indéniablement lié au sien : Paul Cézanne. Alors que personne ne s’intéresse au peintre d’Aix-en-Provence, le galériste l’expose dès 1895 et lui achète de nombreuses œuvres pour trois fois rien. Il accumule celles-ci jusqu’à la mort du peintre, alors que le prix de ses toiles s’envole. En 1901, c’est chez lui que s’expose pour la première fois un jeune Espagnol tout juste débarqué à Paris : un certain Pablo Picasso.

Polyvalent

Le succès et la pérennité d‘Ambroise Vollard sont aussi dus à la diversité de ses activités. Aux peintres dont il s’occupe, il propose de s’essayer aux estampes, à la sculpture, à la gravure ou à la lithographie. Lui-même ne se borne pas au commerce de l’art. « Ambroise Vollard, éditeur » sonne drôlement bien à ses oreilles… Il y consacre alors toute son énergie et publie des recueils illustrés par les grands artistes de son temps. Au contact du poète Alfred Jarry, il se lance même dans l’écriture, livrant notamment des monographies sur Cézanne, Degas ou Renoir et une autobiographie. Alors qu’il s’apprête à constituer un musée à partir de sa collection, un accident de voiture stoppe d’un coup ses projets… et sa vie. Le 22 juillet 1939, un cahot aurait projetté sur sa nuque une statue posée sur la plage arrière… Sans testament récent ni héritier direct, sa disparition engendre un véritable imbroglio juridique et sa collection est dispersée. Il laisse cependant un héritage culturel inestimable : non seulement il a transformé le marché de l’art en soutenant des artistes modernes marginalisés, mais il a aussi contribué à faire reconnaître leur talent, influençant durablement la valeur de leurs œuvres et façonnant les goûts du public, contre les institutions traditionnelles.

Cet article est paru dans le Télépro du 10/10/2024

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