«Le Lac des cygnes» : un éprouvant double jeu

Ce mardi sur Arte, la soirée placée sous le signe des cygnes commence à 22.45, avec le mythique ballet version Rudolf Noureev, d’octobre 1964 © Arte

Ce spectacle très apprécié du public est aussi le ballet le plus convoité par les ballerines qui rêvent toutes d’y incarner le rôle à deux faces du cygne blanc et du cygne noir, allégorie du conflit entre le bien et le mal.

Lutter contre ses démons intérieurs et ses souffrances physiques tout en restant affable est un combat vécu par chaque être humain. Peut-être est-ce l’une des raisons pour lesquelles « Le Lac des cygnes » fascine encore spectateurs et artistes. Défi artistique, il attire les danseuses du monde entier par sa finesse chorégraphique et ses prouesses techniques exigeant force athlétique et interprétation dramatique complexe.

Lutter pour la légende

Ce ballet classique en quatre actes, décliné aussi en versions moderne, circassienne, sur glace ou épurée (comme celle de Johan Inger, mardi à 23.30 sur Arte), porté par la musique envoûtante de Tchaïkovski (1840-1893) qui lui a assuré sa longévité, relate la mésaventure de Siegfried épris d’Odette, princesse changée en cygne par le sorcier Rothbart. Seul l’amour annulera le sort. Mais le jeune homme promet à tort fidélité à Odile, sosie d’Odette, scellant pour toujours la malédiction.

Les plus grandes ballerines doivent souvent leur notoriété à leur capacité à aborder tant la frêle fille en blanc que la rivale en noir, en étant sur les pointes durant plus de deux heures, avec un climax éprouvant en fin de l’acte 3 où elles exécutent 32 fouettés (tours sur soi-même avec impulsion donnée par la jambe libre) sans jamais poser le pied à terre. C’est ainsi que feu Maia Plissetskaïa est devenue une légende en Russie et ailleurs, tout comme sa compatriote Ouliana Lopatkina, les Françaises Agnès Letestu, étoile, et Héloïse Bourdon, première danseuse à l’Opéra de Paris.

Des pieds à la tête

Car la duplicité du rôle marie une nature mélancolique et douce, via des mouvements éthérés, à une nature sensuelle aux gestes dynamiques. En 2011, le documentaire « La Danse à tout prix », avait suivi la Franco-Norvégienne Léonore Baulac (devenue étoile en 2016) dans sa préparation Odette-Odile pour son examen annuel au sein du corps de ballet. Elle en découvrait les difficultés. On voit la débutante répéter selon les conseils de l’étoile Aurélie Dupont. Il lui faut apprendre à mouvoir ses bras afin de figurer les battements d’ailes d’un cygne. Vient aussi la maîtrise du visage afin de passer de la gentille Odette à la maléfique Odile dont les traits et le regard sont sombres et inquiétants. Avec sa physionomie angélique, la danseuse blonde a dû beaucoup travailler son jeu pour durcir ses traits.

Gérer le bien et le mal

Ce casse-tête physique et psychologique est également illustré dans le film « Black Swan », de Darren Aronofsky (2010), où l’héroïne Nina Sayers (Natalie Portman) lutte contre elle-même et ses complexes de jeune danseuse afin de conjuguer la fragilité d’Odette et les desseins perfides d’Odile. En interprète dévouée à son art, en quête de perfection, elle cherche pareille métamorphose jusque dans son quotidien, souffrant dans son esprit et son corps pour accoucher du fameux cygne noir. Le réalisateur illustre la pénibilité de ce combat au travers des costumes : au début du récit, Nina est vêtue de rose layette tandis qu’à la fin, laissant enfin Odile surgir, elle porte des déclinaisons de gris. Hildur Isabella Boylston, « principal dancer » de l’American Ballet Theatre, conclut à propos du mythique rôle : « C’est certes difficile car les muscles brûlent. Mais je me concentre sur les pas et sur ce que pensent le cygne noir et le blanc. C’est ce qui élève le ballet du statut d’athlétisme à celui d’art. »

Cet article est paru dans le Télépro du 26/12/2024

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