Le côté obscur de la manière Ford
«Retour aux sources» brosse le portrait d’Henry Ford (1863-1947). Le célèbre constructeur américain était ouvertement antisémite et proche du régime hitlérien…
« J e veux construire une voiture pour tous, à un prix si bas que personne ne pourra pas ne pas en posséder une. Elle sera si simple à conduire qu’un enfant de 15 ans pourra l’utiliser.»
Une voiture sur deux
En 1908, Henry Ford met sa philosophie en pratique et crée la Ford T qui s’écoulera à plus de 15 millions d’exemplaires en moins de vingt ans. Il invente la première chaîne de montage qui lui permet de réduire considérablement le temps de construction de son modèle et son prix. À partir de 1914, une voiture sur deux dans le monde sort des usines Ford.
Le «Fordisme»
L’homme bouleverse aussi l’organisation du travail avec ses chaînes d’assemblage. Il engage en masse des ouvriers immigrés non qualifiés pour s’occuper de ses machinesoutils et leur impose des routines strictes que Charlie Chaplin caricaturera dans «Les Temps modernes». Pour lutter contre l’absentéisme, Ford institue la journée des huit heures, et par la même occasion les trois-huit, double le salaire de base, mais impose à ses ouvriers de vivre en bons pères de famille. Son Département sociologique, composé d’une cinquantaine d’inspecteurs, s’invite dans les foyers pour vérifier que le salarié ne gaspille pas son argent en boissons ou en dépenses inutiles. Et ne s’affilie pas à un syndicat ! Le «Fordisme» est né.
Mère belge
Rien pourtant ne prédestinait Henry Ford à devenir un des hommes les plus puissants au monde. Né en 1863 à Dearborn, dans le fin fond du Michigan, d’un père irlandais et d’une mère belge, Henry passe le plus clair de son enfance dans la ferme familiale, mais rêve de devenir mécanicien. Fasciné par l’invention de la première automobile américaine, il ne tarde pas à mettre au point sa première création : un quadricycle conçu à partir d’un châssis de landau monté sur quatre roues de bicyclette. C’est le début d’une incroyable success-story.
Antisémite, il inspire Hitler
Mais la saga Ford a aussi ses côtés sombres. Inquiet de la force économique des Juifs, Henry Ford se sent menacé et n’hésite pas à les déclarer responsables de la Grande Guerre et de la montée du communisme. En 1919, il rachète le journal The Dearborn Independent, tiré à plus de 700.000 exemplaires, et le transforme en journal antisémite. Au milieu des années 1920, il publie un livre, «Le Juif international », un recueil des éditoriaux du Dearborn Independent contre les Juifs traduit en vingt langues, dont l’allemand, et qui sera source d’inspiration pour un certain Adolf Hitler. Henry Ford est d’ailleurs le seul Américain à avoir le «privilège» d’être mentionné dans «Mein Kampf», le manifeste du Führer. Ce dernier lui décerne en 1938 la Grande Croix de l’Ordre suprême de l’aigle allemand, la plus grande distinction accordée par l’État nazi à un étranger.
Modèle dépassé
Mais il n’aura pas fallu attendre la Seconde Guerre mondiale pour assister au déclin du milliardaire. Faute d’avoir anticipé le goût des consommateurs, lassés de la Ford T et séduits par la gamme variée des véhicules proposée par son rival, General Motors, «Crazy Henry» est contraint d’arrêter la production de sa voiture fétiche en 1927. Problème : la remplaçante n’est pas prête. Pour la construire, il faut changer la moitié des 43.000 machines-outils et repenser les chaînes d’assemblage. Jamais plus Ford ne dominera le marché de l’automobile.
Ironie du sort
En 1945, pour redresser la firme, son petit-fils, Henry Ford II, fait appel à une équipe de nouveaux managers, dont plusieurs viennent de General Motors. Le patriarche décède le 7 avril 1947, à l’âge de 83 ans, d’une hémorragie cérébrale. Ironie du sort, 50 ans après sa mort, le 23 février 1997, la diffusion à la télé américaine du film de Spielberg «La Liste de Schindler » est sponsorisée par… la Ford Motor Company.
Cet article est paru dans le Télépro du 26/10/2023.
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