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Le «Boléro» de Ravel, un scandale en or
Lorsque Maurice Ravel (1875-1937) compose son « Boléro », il est loin d’imaginer la polémique qui s’abattra sur son œuvre, même après sa mort…
Le projet était pourtant simple, sans prétention : « Un thème qui ne va pas durer une minute, mais que je vais répéter jusqu’à 18 minutes avec un crescendo graduel. » Une idée radicale qui, au grand étonnement de son compositeur, rencontre un franc succès. Pour célébrer les cent cinquante ans de la naissance du père du « Boléro », Arte évoque la vie de ce musicien timide et solitaire, ce dimanche à 18h10, avec le documentaire «Ravel en mille éclats». Aujourd’hui encore, sa musique de ballet pour orchestre est la plus jouée dans le monde. Elle rapporterait, chaque année, plusieurs millions d’euros liés à ses droits d’auteur. Un pactole que les héritiers ne sont pas prêts à lâcher…
« Ballet espagnol »
Quand son amie et mécène, la danseuse russe Ida Rubinstein, lui commande « un ballet de caractère espagnol », Ravel se dit que c’est tout à fait dans ses cordes. Les sonorités hispaniques, très en vogue au XIXe siècle, résonnent déjà dans la plupart de ses œuvres. Un engouement qui s’explique par les origines basques de sa mère, mais aussi par ses fréquentations artistiques, tels Manuel de Falla ou Isaac Albéniz. Ainsi songe-t-il d’abord à orchestrer six pièces extraites de la suite pour piano « Ibéria » de son ami Albéniz. Problème : il se heurte à des droits d’auteur et est contraint d’abandonner le projet. « Ces lois sont idiotes ! », déclara-t-il. Il ne croyait pas si bien dire…
« Au fou ! »
Le soir du 22 novembre 1928, enfin, son « Boléro » s’apprête à retentir à l’Opéra de Paris. Dans la salle se croisent son ami Stravinsky, la princesse de Polignac et des critiques d’art. L’un d’eux dira que « le spectacle suait l’ennui provincial » ! Le public, lui, salue ce « tour de force éblouissant » ! Une spectatrice, cramponnée à son fauteuil, aurait crié « Au fou ! » Ravel aurait répondu : « Celle-là, elle a compris. » L’année suivante, la ritournelle entêtante fait ses preuves aux États-Unis, sous la direction d’Arturo Toscanini. Mais l’impétueux chef d’orchestre ose la jouer deux fois plus vite… Ravel refuse de lui serrer la main.
Beaux euros
Son « Boléro » est avant tout « une expérience », l’une des dernières avant l’atteinte cérébrale qui le condamne au silence dès 1933. Il meurt quatre ans plus tard, à 62 ans, sans héritier… Pourtant, un procès féroce autour de son héritage est actuellement en cours ! L’œuvre étant entrée dans le domaine public en 2016, les ayants droit de Ravel (qui n’ont pas de liens familiaux avec lui) ne touchent plus un centime. Il est tout de même question de 46 millions d’euros perçus entre 1970 et 2006…
Pour pallier ce manque à gagner, une seule solution : « faire reconnaître le « Boléro » en tant qu’œuvre collaborative ». La chorégraphe, voire le scénographe, n’en sont-ils pas les coauteurs ? Une telle reconnaissance leur permettrait de prolonger les droits d’auteur jusqu’en 2039, voire 2051 – si l’on tient compte de leurs dates de décès – et de se partager 20 millions d’euros… En janvier 2025, la Sacem a rejeté leur énième demande. Les « héritiers » ont fait appel. Le ballet des castagnettes se poursuit… jusqu’à ce que l’or s’ensuive.
Cet article est paru dans le Télépro du 27/2/2025
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