Le Bolchoï, derrière le rideau de velours et de fer !
Joyau et fierté du peuple russe depuis son inauguration en 1825, le prestigieux théâtre a connu et connaît toujours une histoire tourmentée, entre art, culture et… politique. Ce dimanche à 23h50, Arte diffuse «Le Théâtre Bolchoï, l’art et la guerre».
Meilleure institution de la danse, juste derrière l’Opéra de Paris, le Bolchoï, situé à Moscou, et ses danseurs ultra disciplinés cachent au-delà des fabuleux décors, du tulle et du satin, des rebondissements bien plus dramatiques et spectaculaires que ses ballets mythiques.
Refermé et isolé
Arte dévoile, dimanche soir, un documentaire tourné dans ce microcosme, cinq cents jours avant l’offensive russe en Ukraine. Autrefois ouvert au monde avec ses artistes qui venaient démontrer leur talent en Europe, en Asie et aux États-Unis, tout en restant adulés du peuple russe, cet écrin s’est refermé sur lui-même. Comme l’explique l’historien Simon Morrison au New York Times : «Ces dernières années, le Bolchoï était devenu plus libéral, cosmopolite, expérimental et a même créé un ballet sur Noureev, longtemps rayé des livres d’histoire slaves pour avoir fui sa patrie, abordant même son homosexualité. Aujourd’hui, les théâtres à travers le monde n’invitent plus ses artistes et les chorégraphes étrangers refusent de s’y rendre.»
Arme du soft power
Même certaines têtes d’affiche de la maison ont renoncé à leur grande carrière en s’exilant, car opposées au conflit ukrainien. L’étoile Olga Smirnova a été accueillie par le Dutch National Ballet à Amsterdam. «Ma décision n’est pas une défection», ditelle au Telegram. «J’ai suivi ma conscience. Je suis contre la guerre de toute mon âme. Jamais je n’aurais cru pouvoir avoir honte de la Russie.»
Elle laisse derrière elle un Bolchoï qui en a vu d’autres. Sauvé d’un incendie, il a déjà été utilisé à des fins politiques par les tsars de Russie, puis par l’Union soviétique. Nick Read, coréalisateur du docufilm «Bolchoï Babylone», impressionné par la hiérarchie et la censure au sein même du théâtre très contrôlé, raconte au Guardian : «Durant la guerre froide, ses artistes étaient les précurseurs qui glorifiaient la Mère patrie, envoyés à l’étranger comme une icône du soft power. Pendant la Glasnost et la Perestroïka, ils sont allés danser à la Maison Blanche quand Gorbatchev rencontrait Reagan. Quel est le point commun entre le Bolchoï et la Kalachnikov ? Ils définissent la Russie moderne.»
Attaque à l’acide
Le Bolchoï est aussi le témoin d’intrigues en son sein. En 2015, son directeur artistique, Sergei Filin, est victime d’un attentat à l’acide qui le défigure. Officiellement, le coupable est le danseur Pavel Dmitrichenko qui a vengé sa petite amie ballerine, car elle n’avait pas été sélectionnée pour le premier rôle du «Lac des Cygnes». «L’acide n’est pas une arme couramment utilisée», souligne Nick Read. «Et la manière dont ces danseurs sont nommés n’est pas souvent basée sur le mérite. Il s’agit de savoir à qui vous êtes fidèle, qui vous flattez ou qui vous protège. C’est l’héritage d’un passé communiste. Voilà pourquoi d’autres tactiques sont utilisées dont la corruption.»
Optimisme borné
Pourtant, tous les spécialistes de l’institution, ainsi que ses danseurs, restent positifs et malgré le danger, cultivent un optimiste borné, typique de l’âme slave. Ted Brandsen, directeur du Dutch National Ballet, a dit sur CBS : «Les théâtres, les compagnies de ballet, ont survécu à pire : famines, révolutions, deux
guerres mondiales.» Olga Smirnova ajoute : «L’histoire change, les régimes se succèdent, mais le Bolchoï reste. Il survivra plus longtemps que les politiciens.» Puisse Apollon, dieu des arts et des muses, les entendre.
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