L’an mil et ses terreurs… imaginaires !
Au Moyen Âge, l’approche de la fin du premier millénaire a-t-elle amené les populations à sombrer dans la terreur ?
Que s’est-il passé en l’an mil ? Rien ! Cette année ne correspond à aucun événement majeur de l’Histoire. Pourtant, le millénaire de la naissance du Christ évoque, pour nous, un règne de terreurs. Une idée aujourd’hui réfutée par la plupart des historiens.
Dans «Quand l’histoire fait dates» (dimanche à 17.05, sur Arte), le médiéviste Patrick Boucheron raconte comment est né ce mythe. C’est à la fin du Ier siècle que Saint Jean évoque, dans son «Apocalypse», le retour de Satan mille ans après avoir été enfermé dans les Enfers par le Christ. À l’approche de cette échéance, le Vieux Continent a-t-il connu des événements (guerres, épidémies, catastrophes naturelles…) pouvant laisser craindre une possible fin du monde ? Non, répondent les historiens.
La chronologie fait défaut
Car «la très grande majorité des Européens d’il y a mille ans étaient illettrés et n’avaient aucune connaissance de la chronologie ni de la datation», écrit André Larané dans «L’An mil, drames et renouveau» (herodote. net). «La plupart se représentaient l’époque du Christ comme très proche de la leur et rien ne permet de croire qu’ils aient pu craindre la fin du monde.»
Ainsi, comme l’explique Patrick Boucheron, «personne en l’an mil n’a conscience de vivre la dernière année du Xe siècle». À l’époque, le peuple vit au rythme des saisons et des fêtes religieuses. Seuls les moines et les chroniqueurs ont conscience du temps. Et ce n’est qu’au XIe siècle que l’ère chrétienne va se généraliser comme repère chronologique. De plus, les moines savaient que les mille ans prophétisés par Saint Jean n’avaient pas un sens numérique.
«L’importance des mille ans évoqués dans « L’Apocalypse » est relativisée assez tôt par bien des auteurs chrétiens», écrit Sylvie Joye dans «Les Grandes peurs de l’an mille» (Historia). «Saint Augustin, vers l’an 400, note déjà que le nombre 1000 a plutôt une valeur spirituelle et n’est pas une indication précise concernant la fin des temps. (…) En 431, le concile d’Éphèse condamne la compréhension littérale du millenium évoqué dans l’Apocalypse.»
Millénarisme rétrospectif
Mais alors pourquoi assiste-t-on à un millénarisme rétrospectif ? Car certains lettrés expriment leurs propres craintes et tentent de les transmettre. Comme Raoul Glaber, un moine bourguignon du XIe siècle.
«Après 1033 se multiplient selon lui les signes et les événements surnaturels, qu’il interprète comme une façon pour Dieu de punir les hommes de l’énormité de leurs péchés et, surtout, de les inciter à la pénitence», poursuit Sylvie Joye. «Sigebert de Gembloux (v. 1030-1112) présente un tableau encore plus terrifiant de l’an mil : tremblement de terre effrayant, comète au sillage fulgurant, apparition d’un serpent dans une fracture du ciel… Plusieurs chroniques du XVIe siècle reprennent son témoignage pour décrire de véritables scènes de panique dues à la croyance dans l’imminence de la fin des temps.»
S’appuyant sur cette base documentaire fragile, l’historien Jules Michelet écrit, au XIXe siècle, dans son «Histoire de France» : «C’était une croyance universelle au Moyen Âge que le monde devait finir avec l’an 1000 de l’Incarnation». Après d’âpres débats, il semble pourtant que ces supposées terreurs ne reposent sur aucune source fiable. Par contre, autour de l’an mil, le continent européen fait peau neuve, avec le développement de la société féodale.
«Il n’y a guère de place dans ce monde en plein essor pour des paniques concernant l’approche de la fin des temps», confirme Sylvain Gouguenheim dans «L’An mil, quand l’Occident s’éveille» (Historia). «Si l’on note les prodiges (comètes, éclipses), on y voit des signes envoyés par Dieu, non l’annonce de la fin du monde…» Pour l’historien, «on a mal lu les sources. (…) On crut y voir la preuve que la fin des temps hantait les esprits. C’était au contraire la confirmation d’un renouveau…»
Cet article est paru dans le magazine Télépro du 5/11/2020
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