«La Croisade des enfants» : quand les enfants partirent en croisade…
En 1212, deux cortèges d’enfants seraient partis, l’un d’Allemagne et l’autre de France, pour libérer Jérusalem.
Entre 1096 et 1291, huit croisades ont été lancées par les chrétiens pour libérer la Terre sainte des musulmans. Selon les chroniques de l’époque, entre la quatrième et la cinquième, une croisade d’un autre genre aurait été menée par des milliers… d’enfants ! Samedi soir, Arte tente de démêler le vrai du faux de cet incroyable pèlerinage. Cette histoire extraordinaire débute au printemps 1212. À Cologne, un jeune garçon prénommé Nicolas a une vision : un ange lui demande de libérer pacifiquement le Saint-Sépulcre. En effet, le tombeau du Christ, à Jérusalem, est aux mains des Sarrasins. Le prêcheur diffuse le message et, aux jeunes se ralliant à sa cause, promet la protection de Dieu. Leurs parents tentent bien de les dissuader, mais sans succès… À la même époque, en France, Étienne, un jeune berger originaire de Cloyes, fait le même songe ! Et lui aussi commence à rassembler les foules avec le même objectif. C’est ainsi que, depuis la Rhénanie et le Pays de la Loire, des milliers (les chiffres ont sans doute été exagérés) de pèlerins, motivés par le salut de leur âme, prennent la route en chantant des psaumes et des cantiques. Sans vivres, ni vêtements chauds, ni chaussures adaptées, juste armés de leur foi en Dieu !
Pas de miracle
Après plusieurs semaines de marche, les convois ont franchi les Alpes, non sans avoir subi de nombreuses pertes humaines. L’idée est d’atteindre la Méditerranée qui doit s’ouvrir pour leur offrir un passage, comme la mer Rouge l’a fait pour Moïse. Mais face à la mer, le miracle se fait attendre… «D’après un chroniqueur, la croisade française s’achève dans l’horreur, puisque les enfants se seraient embarqués à Marseille sur les nefs de marchands véreux et que la plupart auraient été ensuite vendus comme esclaves dans les ports musulmans d’Afrique du Nord», écrit Laurent Vissière dans «La Croisade des enfants porte bien mal son nom» (Historia). «Quant aux Allemands, ils parviennent dans diverses cités italiennes, comme Pise, Venise ou Brindisi, où ils finissent probablement par s’établir.» Aujourd’hui, des questions subsistent : la croisade des enfants relève-t-elle de la légende ou de la réalité ? Pour l’historien Nikolas Jaspert, «cet événement s’est réellement produit, car de nombreux auteurs le relatent. Rien que pour le XIIIe siècle, nous avons plus de cinquante textes qui en parlent, la plupart sont des chroniques. Certains ont été écrits peu de temps après les faits, d’autres quelques décennies plus tard. Le nombre de sources est donc assez considérable et ne permet pas le doute, d’autant que ces textes proviennent de régions très différentes.»
L’âge en question
Par contre, des réserves sont émises sur l’âge réel des croisés. Les chroniqueurs médiévaux les nomment «pueri». Ce terme latin, qui a donné son nom à l’événement, signifie en général les enfants, mais pourrait ici désigner des personnes démunies. «En réalité, cette étonnante croisade des enfants porte bien mal son nom», poursuit Laurent Vissière. «Il s’agit en fait d’un vaste mouvement populaire, loin d’être uniquement composé d’enfants – on compte dans ses rangs de nombreux adultes, surtout des paysans pauvres. Et c’est un mouvement foncièrement pacifique, les pèlerins ne portent pas d’armes et ne sauraient d’ailleurs pas s’en servir s’ils en avaient. Ils rêvent en effet de sauver la chrétienté et entendent délivrer Jérusalem par la seule pureté de leur âme.» Ainsi, enthousiasme et idéalisme sont les moteurs de ce mouvement, qui n’est pas sans rappeler le combat de Greta Thunberg. «Nous vivons à l’époque des grèves de la jeunesse pour le climat», conclut Nikolas Jaspert. «Cela nous amènera peut-être bientôt à reconsidérer les croisades des enfants. Nous pouvons les voir comme un mouvement de la jeunesse dirigé contre la vieille garde qui a échoué…»
Cet article est paru dans le magazine Télépro du 18/02/2021
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