Juchitán, la cité des femmes
«Terres de femmes», vendredi à 12 h 10 sur Arte, nous entraîne dans une ville mexicaine où le sexe dit «faible» règne en maître.
Du Kenya à la Chine, des Comores au Mexique, de l’Estonie à l’Indonésie, il existe des communautés matriarcales où les femmes occupent une place centrale et où les hommes sont relégués au second plan.
Tout passe par la mère
Juchitán de Zaragoza est une ville de 100.000 habitants au sud-est du Mexique, et une plaque tournante du commerce mondial, car située sur un axe routier reliant Amérique du Nord et du Sud. La population est majoritairement zapotèque et parle encore la langue de cette civilisation vieille de près de 2.500 ans, où les femmes détiennent le pouvoir économique et l’autorité.
Dans cette société, la mère et tout ce qui a trait à la maternité sont capitaux. Chez les Zapotèques, tout passe par la mère : le nom, la maison, l’héritage. L’homme emménage chez la femme, la résidence du couple étant déterminée par celle de la mère de l’épouse. Et cette dernière peut expulser son mari de chez elle. L’époux répudié ira alors se réfugier chez sa mère ou ses sœurs !
L’homme producteur
À Juchitán, la répartition des activités entre les sexes est rigoureuse. Monsieur a un rôle de production. Il travaille la terre, pêche, apporte le produit brut. Madame se charge de l’exploiter, elle gère la consommation, la transformation du produit et sa vente.
Le marché est le centre vital de la société, l’endroit des échanges, le nœud de l’économie et dans une grande mesure, le lieu du pouvoir. Aucun homme n’y a de poste. Et c’est sa femme qui lui donne de l’argent pour ses dépenses personnelles. Curieusement, la société juchitèque jouit d’un niveau de vie très supérieur à la moyenne des communautés mexicaines !
L’homme créateur
Si l’économie est d’un bout à l’autre l’affaire des femmes, dans la sphère politique et culturelle, ce sont les hommes qui dominent. À Juchitán, dans les bureaux de la municipalité, le masculin règne en maître. Même si depuis quelques années, certaines femmes deviennent conseillères municipales. La culture juchitèque, sa créativité, est également véhiculée par les hommes qui, pendant que les femmes font tourner le moulin, écrivent, peignent ou composent.
Troisième sexe
La position particulièrement avantageuse des femmes zapotèques et leur prestige social font que ces dernières sont réputées depuis l’époque précolombienne pour leur tolérance vis-à-vis d’un troisième sexe, les «muxes», ces hommes ayant «un cœur de femme».
Nés hommes, attirés sexuellement par les hommes, les «muxes» se destinent depuis leur enfance, par choix personnel, ou parce que la mère l’a décidé, à une vie de femme. Ils en prennent l’apparence, en se travestissant, et se consacrent à l’activité sociale la plus importante de la ville : l’organisation des «velas», les fêtes de Juchitán. On compte plus de 380 «velas» chaque année. Les «muxes» confectionnent les décorations et les vêtements traditionnels qui y sont portés.
Si aucun recensement n’a été effectué, on peut calculer approximativement qu’il y a presque un «muxe» pour dix habitants à Juchitán, soit quasiment un dans chaque famille. Le «muxe» est souvent considéré par sa mère comme le meilleur de ses fils puisque le fils «muxe» n’abandonne jamais ses parents dans les moments difficiles de la vie : la vieillesse et la maladie.
Pas de genre
«Ce qui nous différencie des homosexuels, des travestis ou des transgenres, c’est que nous naissons à Juchitán. Nos premiers mots sont prononcés dans la langue zapotèque où la distinction de genre n’existe pas», explique Elvis Guerra, «muxe» et poète. «Il n’existe pas non plus de processus de coming-out. Se découvrir « muxe » est une démarche collective qui a lieu au sein de la famille et de la société. Mais ces deux entités attendent de nous que nous adoptions des règles et des rôles bien définis.»
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