Jeanne de Belleville alias Cœur de pirate
Par amour, une jeune noble va devenir la première femme pirate de l’histoire de France. Ce lundi à 21h10 sur France 3, «Secrets d’Histoire» dresse son portrait.
Dunkerque eut Jean Bart, Saint-Malo Surcouf, deux corsaires au service de la France. Le premier d’ailleurs avait un accent bien flamand, puisque son vrai nom était Jan Baert. Normal car il était originaire de ce que nos voisins du sud nomment les Flandres. Mais qui se souvient encore, nourri par ces aventures flibustières et largement romancées, qu’au cœur du Moyen Âge, au milieu d’une France qui tant bien que mal tente de se former, bien loin encore de l’Hexagone qu’elle est aujourd’hui, une femme va se transformer en véritable pirate pour venger la mort de l’homme qu’elle a aimé ?
Un étonnant destin
Quand dans le Poitou en cette année 1300 naît Jeanne de Belleville, nul ne peut prédire encore le destin de cette petite fille issue de la noblesse moyenne. Et pourtant, l’histoire en fera une tigresse et une lionne. Après une enfance sans histoire, pour accroître le domaine familiale et ses possessions poitevines et bretonnes, elle épouse à 14 ans un certain Geoffroy, seigneur de Châteaubriant, avec lequel elle aura deux enfants, Geoffroy, lui aussi, et Louise.
Son époux meurt à 33 ans, un âge conforme à l’espérance de vie de l’époque. Mais à 30 ans, Jeanne se sent encore pleine d’allant pour fonder une nouvelle famille avec Olivier IV de Clisson auquel elle donnera cinq enfants. Comme tout seigneur de son temps, Olivier apprécie les tournois et se rend à Paris pour défier de nouveaux adversaires. Bien mal lui en prend car aussitôt arrivé sur les bords de Seine, il est arrêté sous prétexte d’avoir soutenu l’ennemi juré de Charles de Blois, neveu de Philippe VI de Valois, roi de France, dans la guerre de succession de Bretagne dont le siège ducal est fort convoité.
Accusé de félonie, Olivier est décapité et sa tête exposée à Nantes, à la tour Sauve-Tout. Jeanne, sa veuve éplorée, fulmine et se prépare à venger la mort de son mari. Elle lève une troupe de quatre cents fidèles et se dirige vers le château de Touffou, non loin de Clisson. Le commandant de la garnison qui garde la forteresse ignore tout du sort qui a été réservé à Olivier de Clisson et, reconnaissant Jeanne, fait abaisser le pont-levis. Tous ses hommes sont aussitôt massacrés !
La lionne
Mais là ne s’arrête pas la vengeance de Jeanne. Avec l’aide de deux de ses fils, elle consacre toute sa fortune à financer des troupes de choc pour ébranler le pouvoir royal. Elle trouve de nombreux partisans dans cette Bretagne éternellement rebelle et fait armer deux navires chargés de s’en prendre aux vaisseaux arborant les couleurs du roi de France.
S’en suit une poursuite si épique qu’elle lui survivra dans l’histoire sous le nom de «Guerre de course», Jeanne de Belleville étant dorénavant surnommée «la lionne sanglante». Jeanne perd ce combat inégal, sa petite flotte étant saisie par l’ennemi. Néanmoins, elle échappe au désastre à bord d’une barque qui, à la dérive, échoue en baie de Morlaix où elle est recueillie par les habitants. Son fils Guillaume ne survit pas. Avec le second, Olivier, elle rejoint l’Angleterre où, en troisièmes noces, elle devient la femme de Walter Bentley, lieutenant du roi Édouard III et surtout allié inconditionnel de Jean de Montfort, ennemi juré de Charles de Blois, prétendant à la charge ducale en Bretagne.
Finalement, après une intervention papale, le roi d’Angleterre calme les velléités belliqueuses de Jeanne de Belleville. Épuisée par tant de luttes vaines, privées de tous ses biens, elle trouve refuge à Hennebont, dans le Morbihan, auprès de la famille Montfort. Mais c’est sans doute en Angleterre que la mort l’emporte en 1359. Ainsi s’achève une épopée bien médiévale, plus rarement féminine, avec à sa tête sans doute la première femme pirate de l’Histoire.
Texte : Hervé Gérard
Cet article est paru dans le Télépro du 21/4/2022
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