Hommage aux mineurs : ces forçats du charbon
Lundi à 21h05, France 3 évoque «L’Épopée des gueules noires» à travers un superbe documentaire. Chez nous et pendant des décennies, de nombreux mineurs se sont tués au travail.
J’aurais pu évoquer les origines, les premières réserves de charbon découvertes en Belgique par des archéologues à proximité de villas romaines. Puis les débuts de l’exploitation des veines entre Mons et Liège dès le Moyen Âge. Parler des terrils, ces collines artificielles de résidus miniers qui font partie de notre paysage. Ou des «accords charbon» entre la Belgique et l’Italie. Des lampes de mineurs à l’aspect si particulier, incontournables décorations d’intérieur de bien des maisons du Borinage et de la province de Liège.
Pour aborder un sujet aussi vaste que celui des charbonnages, de la mine et des mineurs dans notre pays, j’ai finalement opté pour un souvenir. Un souvenir qui ne me quittera jamais, témoin de l’attachement indéfectible d’hommes à leur activité, témoin aussi de leur colère de voir disparaître un métier pour lequel ils étaient prêts à sacrifier leur santé.
Colère noire
Nous sommes au milieu des années 1980 et je fais mes premiers pas en journalisme. Des premiers pas qui me mènent, avec mon cameraman, de l’autre côté de la frontière linguistique, chez nos cousins du Limbourg. Beringen, Zolder…, les charbonnages sont en ébullition. Ou pour être plus concret : la rage des mineurs explose. L’adieu aux mines que le gouvernement vient d’annoncer se vit on ne peut plus douloureusement. Le charbon des KS (Kempense Steenkoolmijnen, les charbonnages de Campine) a perdu toute valeur stratégique, il devrait se vendre à prix d’or pour être rentable.
Des milliers de mineurs perdent leur emploi. Malgré les plans d’accompagnement, ils ne décolèrent pas et des mineurs en colère, je l’ignorais jusque-là, mais ça fait peur à voir. Les manifestants sont déchaînés. La gendarmerie, pourtant en nombre sur place, est submergée.
Tout va très vite…
Devant les grilles des charbonnages, on assiste à des affrontements d’une exceptionnelle violence. Les forces de l’ordre doivent essuyer des pluies de boulons. Pour les cameramen et les journalistes, souvent coincés entre les deux, le danger est partout. Nous sommes en première ligne ce jour-là. Sous l’objectif de la camera, un groupe de manifestants entoure un gendarme.
Tout se passe très vite. Les barres de fer des mineurs, le gendarme qui perd son casque, dégaine son arme et vise ses agresseurs : les images que je garde de ce moment se succèdent. Un coup de feu claque… Heureusement, le bras du tireur est dévié par un de ses collègues.
En 1966, lors de l’annonce de la fermeture de la mine de Zwartberg, deux mineurs avaient eu moins de chance, ils étaient tombés sous les balles des policiers. Cette fois, le drame est évité mais pas l’agonie des mines. En 1992, le dernier charbonnage belge, celui de Zolder, ferme ses portes.
Le noir du drapeau tricolore
Gravée en lettres noires, l’histoire des charbonnages s’est écrite pendant des siècles dans notre pays, au point de figurer sur le drapeau national aux côtés de l’agriculture (l’or des blés) et de l’industrie (le rouge des feux de la sidérurgie). Une épopée économique écrite avec le sang de milliers de mineurs.
Des hommes mais aussi des femmes et des enfants, méprisés par les classes sociales dominantes, victimes d’accidents de travail (comme 262 d’entre eux lors de l’incendie dans la mine du Bois du Cazier à Marcinelle en 1956) et de la terrible maladie du mineur, à force d’avaler de la poussière de charbon à longueur de journée. En guise de reconnaissance à ce «métier», ils auront droit à l’effigie d’un mineur gravée sur le côté face des pièces de 20 et 50 centimes de francs belges, les plus petites et celles ayant le moins de valeur de la panoplie de la Banque nationale.
Cet article est paru dans le magazine Télépro du 2/4/2020
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