Histoire : les voisins du rideau de fer
Le rideau de fer a durablement marqué les esprits de ceux qui vivaient juste à côté.
Le 13 août 1961, Berlin se réveille groggy : durant la nuit, un mur de barbelés a été dressé au milieu de la ville. Le 10 novembre 1989, le monde est hébété : le mur de Berlin est tombé. Symbole de la guerre froide, le mur de Berlin n’est qu’un petit bout du rideau de fer qui a coupé l’Europe en deux dès 1948. Trente ans après sa chute, le réalisateur Franck Cuveillier est retourné sur place pour un documentaire diffusé samedi à 22h20 sur La Trois.
Vous avez parcouru le tracé du rideau de fer…
J’ai fait des centaines de kilomètres en Allemagne, en Tchéquie et en Autriche pour essayer d’en trouver quelques morceaux. En réalité, il n’en reste plus grand chose. Il a été supprimé du paysage. Par contre, il est encore très présent dans les esprits. Je dirais même dans la psychologie des gens. Ils ont grandi dans le secret, dans le mensonge. Avec l’idée qu’il faut se méfier de tout le monde.
Quel était votre objectif en faisant ce film ?
L’an dernier, lors du 30 e anniversaire de la chute du mur, il y a eu pas mal de commémorations. Et toutes rappelaient que la disparition du rideau de fer avait été un soulagement. J’ai voulu prendre le contrepied. Bien sûr, ce rideau de fer a été horrible à bien des égards. Il fracturé l’Europe en deux, il a fracturé la vie de milliers de gens. Mais pour ceux qui vivaient juste à côté, les choses ont été plus nuancées. Ce sont ces personnes que j’avais envie de rencontrer.
En quoi leur expérience est-elle particulière ?
Ces gens ont vécu au quotidien avec le mur pendant plus de quarante ans. Pour eux, il avait quelque chose de rassurant. Parce qu’il faisait partie du paysage de leur village. Mais aussi parce que les autorités les avaient persuadés que ces palissades les protégeaient des ennemis de l’Ouest. Du coup, les gens aimaient leur mur. «Ils aimaient leur mur»
Dans votre film, vous rencontrez les voisins du rideau de fer. Certains témoignent d’histoires héroïques, d’autres des petites compromissions au quotidien… Comment avez-vous réussi à les convaincre de parler ?
Ça n’a pas toujours été simple. La plupart ont beaucoup hésité. Mais une fois qu’ils se sont lancés, ils ont été jusqu’au bout. Ils n’ont éludé aucune question. Je pense que certains n’avaient jamais raconté leur histoire comme ils l’ont fait là. Ils se sont peut-être dit que c’était leur dernière chance de lâcher ce qu’ils savaient.
Ils témoignent pour l’Histoire ?
Absolument. Trente ans se sont écoulés depuis la chute du rideau de fer. Je trouve que c’était le moment idéal pour faire ce film. Si j’attendais encore quelques années, les gens risquaient de ne plus être là ou de ne plus avoir toute leur mémoire. Si j’y étais allé plus tôt, je pense que les souvenirs auraient été trop à vif. Il y a des choses dont on ne parle pas lorsqu’elles sont trop récentes. Au bout de trente ans, les gens ont des souvenirs intacts, mais ils sont capables de les évoquer avec un peu de recul.
Certains vous ont-ils particulièrement touché ?
J’aime bien l’histoire des frères Charvat. Ils vivaient en Tchécoslovaquie, mais comme leur mère était française, ils étaient suspects. Ils étaient menuisiers. Alors, les autorités leur ont donné un laisser-passer pour aller travailler sur les palissades du rideau de fer. Elles les laissaient régulièrement sans surveillance, pensant qu’ils allaient s’enfuir, et qu’elles pourraient ainsi coffrer toute la famille. Mais ils n’y ont même jamais songé… Ils n’ont appris que bien plus tard le piège qui leur avait été tendu. Ils étaient bien dans leur village et n’avaient aucune envie de passer de l’autre côté.
D’autres ont choisi de s’enfuir…
Quand les idéologies dressent des murs, l’humain est capable de beaucoup d’imagination et de débrouillardise pour les franchir.
Cet article est paru dans le magazine Télépro du 24/9/2020
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici