Histoire : le sac du Palais d’Été, une terrible humiliation
En octobre 1860, quelque 3.000 soldats britanniques, et autant de français, pillent et détruisent le Yuánmíng Yuán, Palais d’Été de l’empereur chinois.
«Il y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde», écrit Victor Hugo en 1861. «Tout ce que peut enfanter l’imagination d’un peuple presque extra-humain était là.» Dans sa «Lettre au capitaine Butler», l’écrivain français décrit le somptueux Palais d’Été, où se mêlent marbre, jade, bronze, porcelaine, pierreries et draps de soie, et s’indigne de sa destruction par «deux bandits», dont «l’un s’appellera la France, et l’autre l’Angleterre». Vendredi à 13h dans «Quand l’Histoire fait dates», Arte revient sur ce tragique sac, épilogue de la seconde guerre de l’opium.
À l’origine de toute cette violence ? Une fleur ! En Inde, les Britanniques ont le monopole de la culture du pavot, dont ils extraient l’opium, une drogue aux vertus thérapeutiques. Pour financer l’achat des produits chinois dont ils raffolent – soie, porcelaine et surtout le sacro-saint thé -, ils l’écoulent illégalement via le port de Canton. L’opium, que les empereurs Qing nomment «la boue des barbares», déferle sur la Chine et ses effets délétères sur l’économie et la société sont fulgurants.
Guerres de l’opium
En 1839, la confiscation de 20.000 caisses d’opium par les Chinois déclenche la première guerre de l’opium. Au bout de deux ans de combats, les Britanniques, vainqueurs, contraignent les Chinois à signer à Nankin un traité de paix inégal. En 1856, une sombre affaire de piraterie déclenche à nouveau les hostilités. Cette seconde guerre de l’opium a une dimension internationale. Prenant prétexte du meurtre d’un missionnaire français, Napoléon III s’accorde avec la reine Victoria pour envoyer un corps expéditionnaire. Et l’immense marché chinois suscitant la convoitise des grandes puissances, la coalition européenne est bientôt soutenue par les Russes et les Américains, qui veulent aussi leur part du gâteau !
Ne rencontrant que peu de résistance – la Chine, en proie à de violentes révoltes, traverse une profonde crise sociale et politique -, les troupes françaises et britanniques débarquent en septembre 1860 dans le golfe de Petchili et remontent vers Pékin, d’où a fui la cour impériale de Xianfeng. Une fois aux portes de la capitale, les premières laissent de côté la Cité interdite et poursuivent vers le Palais d’Été. S’étendant sur 350 hectares, ce magnifique complexe palatial abrite un lac, entouré de trois immenses jardins, parsemés de centaines de constructions (pavillons, temples, fontaines…).
Pillage et incendie
Un véritable pillage, ironiquement qualifié de «déménagement du Palais d’Été», débute : les soldats emportent vases, parures, peintures, manuscrits, sceptres, bijoux… et brisent ce qui ne peut être emporté. Le sac se poursuit avec l’arrivée des troupes anglaises qui, le 18 octobre, reçoivent l’ordre de Lord Elgin, ambassadeur de la couronne à Pékin, de tout brûler, en représailles de la mort de prisonniers européens. Les milliers de soldats s’y attellent méthodiquement, durant deux jours et deux nuits. À Londres et à Paris, alors que les foules se pressent pour acheter aux enchères ce qu’on appelle alors des chinoiseries, le sac du «Versailles chinois», cinglante humiliation pour la Chine, ne suscite que très peu d’indignation en Europe. «Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont les barbares», écrit néanmoins Victor Hugo. «Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie.»
Cet article est paru dans le Télépro du 21/3/2024
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