Histoire : le jeu d’équilibriste de Salazar

António de Oliveira Salazar © Getty Images
Stéphanie Breuer Journaliste

Durant la Seconde Guerre mondiale, le dictateur portugais a su louvoyer entre Hitler et Churchill pour maintenir son pays en dehors du conflit.

Au rang des dictateurs européens, Hitler, Mussolini ou Franco sont, sans aucun doute, les plus connus. Souvent oublié, António de Oliveira Salazar a pourtant imposé au Portugal la plus longue dictature d’Europe occidentale.

Moins charismatique que ses «confrères», cet universitaire discret a su soumettre ses compatriotes à une discipline de fer et, durant la Seconde Guerre mondiale, maintenir la neutralité de son pays, tout en essayant de tirer les ficelles du jeu politique mondial. Une stratégie payante, comme le raconte «Retour aux sources», samedi à 20h35 sur La Trois.

En juin 1940, alors que l’Europe est mise à feu et à sang par le IIIe Reich, le Portugal célèbre les 800 ans de sa fondation. L’homme fort du pays est alors António de Oliveira Salazar, Premier ministre, ministre des Finances, de la Guerre et des Affaires étrangères. Ce fils d’une famille modeste sait que l’indépendance de son pays est menacée.

Dictateur fasciste (sans pour autant adhérer à la vision raciste d’Hitler) et allié historique de l’Angleterre, Salazar est pris en étau entre les deux camps. Il va tenter de louvoyer avec un seul objectif : rester neutre et maintenir son pays hors du conflit.

Açores, carte maîtresse

Quand les troupes allemandes sympathisent avec celles de Franco, Salazar sent monter le danger car le dictateur espagnol rêve depuis toujours d’annexer son voisin. Pour le contrer, le Portugais, dont l’armée est l’une des plus faibles d’Europe, n’a qu’un atout : son allié historique.

Il convainc Churchill, lui aussi inquiet de voir Franco rejoindre les puissances de l’Axe, de livrer du blé aux Espagnols, au bord de la famine après la guerre civile. Le plan fonctionne : le projet d’invasion est abandonné. C’est une première victoire pour Salazar.

Plus tard, les Açores, grâce à leur situation stratégique dans l’Atlantique, vont constituer une nouvelle carte à jouer pour le dictateur. Les Alliés souhaitent y installer une base aérienne et logistique. Une nouvelle fois, Salazar négocie avec Churchill : il accepte contre la modernisation de son armée et une garantie de survie pour son régime dictatorial.

Du minerai au prix fort

Mais le dictateur portugais aime aussi jouer avec le feu. Voyant la guerre comme une bénédiction économique, il commerce dès 1941 avec les Allemands, en vendant au prix fort son tungstène, un minerai utile pour les munitions des Panzer de la Wehrmacht. Les Alliés, qui y voient la provocation de trop, utilisent les grands moyens.

Menacé d’un coup d’État dans son pays déjà secoué par les tensions sociales, Salazar sent le vent tourner et finit par signer l’embargo sur son minerai… deux jours seulement avant le Débarquement en Normandie. Finalement, la politique de neutralité de Salazar est une réussite puisqu’elle lui aura permis de négocier et de commercer avec les deux camps, tout en permettant la survie de son régime. Une dictature qui reste à ce jour la plus longue d’Europe.

40 ans de pouvoir

Issu d’un milieu modeste et paysan, Salazar mène de brillantes études universitaires. Ancien professeur d’économie, cet homme pieux est appelé au gouvernement, en 1928, pour sauver le Portugal de la banqueroute. Opportuniste, il tire les ficelles et ne laisse au président, le général Carmona, que des miettes du pouvoir.

En 1933, celui qui rêve d’une société conservatrice et nationaliste crée l’État Nouveau (Estado Novo). Après la guerre, alors que Britanniques et Américains font du combat contre Staline leur priorité, le dictateur portugais se maintient au pouvoir jusqu’à un AVC en 1968, deux ans avant sa mort. En 1974, la Révolution des Œillets met fin à la dictature. 

Cet article est paru dans le Télépro du 19/1/2023

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