Histoire : la quarantaine à travers les époques

Au temps de la peste, le masque à bec était de rigueur pour les médecins © Getty
Stéphanie Breuer Journaliste

Confiner des populations ou des régions entières est une pratique médiévale apparue dans l’Adriatique, pour endiguer une épidémie.

Face à la pandémie de coronavirus, plus de la moitié de la population mondiale est confinée. Mais si cette crise est inédite de par son ampleur, la méthode de la quarantaine n’est pas neuve…

«Depuis l’aube des temps, les groupes humains ont pratiqué l’exil et l’isolation de certains de leurs membres afin de protéger leur santé et préserver leur vie», écrit Sofiane Bouhdiba dans «Pavillon jaune : histoire de la quarantaine, de la peste à Ebola» (L’Harmattan). «L’Ancien Testament témoignait déjà de l’usage de séparer les personnes malades des autres.»

La durée de quarante jours est proposée par Hippocrate, pour qui, au-delà de ce délai, il s’agit d’une maladie chronique. Mais si la quarantaine est une invention de l’Antiquité, elle a été institutionnalisée à la fin du Moyen Âge.

Instaurée en Croatie

Cela commence avec les lépreux refoulés à l’extérieur des villes européennes, où apparaissent des léproseries gérées par des moines de l’ordre de Saint-Lazare. Mais cette forme de quarantaine est permanente car la lèpre est une maladie dont on ne guérit pas.

La mise en quarantaine préventive et temporaire, elle, est née au XIVe siècle. Avec l’apparition de la peste noire, des mesures d’isolement sont prises. Et vers 1377, la ville de Raguse (actuelle Dubrovnik en Croatie) innove. Ce port de l’Adriatique, habitué à commercer avec le Levant, contraint ses visiteurs à ne pas quitter leur navire durant trente jours ou à s’abriter sur une île toute proche.

«La parade trouvée à Raguse se révèle suffisamment probante pour faire des émules parmi les autres villes de la région», écrit Frédéric de Monicault dans «La Mise en quarantaine est née en Adriatique» (Historia). «Mais la paternité de la quarantaine revient à Venise, au début du XVe siècle. La cité des Doges, qui affronte une soixantaine d’épidémies de peste entre 600 et 1500, décide de porter la période d’isolement à quarante jours.»

Un nombre très symbolique : le Déluge dans la Bible, la durée du carême… Cette pratique ne tarde pas à se répandre dans les autres ports européens.

Premier lazaret à Venise

C’est aussi dans la Sérénissime, sur l’une des îles de la lagune, qu’est implanté le premier «lazaret». «Ces prisons pour passagers contagieux, ou supposés tels, furent établies à partir du XV e siècle sur le pourtour méditerranéen, souvent sur une île ou une presqu’île», écrit Anne-Marie Moulin dans «Quarantaine, le retour du refoulé» (L’Histoire). «Les lazarets ont toujours eu une funeste réputation en raison de la contrainte et des terribles conditions d’enfermement. Avec tous leurs défauts, les quarantaines ont toutefois probablement limité les catastrophes.»

Du moins quand les mesures n’étaient pas transgressées… En 1720, le Grand Saint-Antoine, de retour de Syrie, accoste à Marseille. L’équipage, contraint de s’isoler, décharge clandestinement sa cargaison d’étoffes. Une épidémie de peste se répand alors dans la cité phocéenne, obligeant le Conseil du Roi à placer toute la Provence en quarantaine.

Au XIXe siècle, avec le choléra, quarantaine et cordon sanitaire sont à nouveau instaurés, souvent au grand dam des milieux économiques. «Jusqu’au début du XXe siècle, les lazarets restent la solution privilégiée, avant que les progrès de la médecine ne permettent de mieux circonscrire les épidémies», poursuit Frédéric de Monicault.

Aujourd’hui, pour un autre mal et dans un autre siècle, la quarantaine reste la meilleure option…

Cet article est paru dans la rubrique Histoire du magazine Télépro le 30/4/2020

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