Hérauts de la décolonisation

Une période trouble de notre histoire © Arte

Du partage de l’Afrique en 1885 entre les puissances européennes à l’indépendance des colonies, trois films retracent 150 ans de combat contre la domination.

Historien spécialiste des empires coloniaux et de la décolonisation, Pierre Singaravélou (42 ans) a participé à la série inédite de trois documentaires baptisée «Décolonisations», diffusée samedi à 21h05 sur La Trois, et mardi à 20h50 sur Arte.

Pourquoi avez-vous choisi cette spécialisation ?

Parce que l’histoire du fait colonial permet d’appréhender notre rapport au monde et de comprendre la manière dont les différents pays d’Europe (Royaume-Uni, France, Belgique, etc.) ont construit leur identité collective. Elle offre des clés décisives pour analyser le temps présent car l’expansion coloniale constitue, à partir du milieu du XIX e siècle, le principal vecteur de la mondialisation contemporaine.

De quelle manière avez-vous mis votre «patte» à cette série qui choisit le point de vue des colonisés ?

Avec les réalisateurs Karim Miské et Marc Ball, nous voulions rendre accessible au grand public les travaux qui ont profondément renouvelé l’histoire de la colonisation et de la décolonisation depuis une trentaine d’années. Il fallait rompre avec l’historiographie traditionnelle qui adopte presque exclusivement le point de vue des autorités coloniales. Les populations colonisées ont conquis pourtant, la plupart du temps, leur indépendance à travers des luttes multiformes qui débutent très tôt, souvent le premier jour de la colonisation. Nous avons tenté de relater cette longue histoire de la résistance à la domination européenne à travers le regard des premiers concernés.

Avez-vous découvert des photos ou des archives que vous ne connaissiez pas encore ?

Il a fallu près de trois ans de travail de recherche, de dépouillement d’archives, d’écriture et de montage pour réaliser cette série. Nous avons découvert de nombreuses images inédites. J’ai été très frappé par les images de Patrice Lumumba, futur héros de l’indépendance du Congo, qui se rend à Bruxelles en 1956. Un film de propagande belge le montre à la première étape de son voyage, contraint d’ôter son chapeau devant la statue du roi Léopold II, dont la politique a causé la mort de millions de Congolais. Ces images montrent bien qu’une partie des élites autochtones veut croire en une nouvelle coopération avec les colonisateurs tout en ne parvenant pas à dissimuler le malaise de Lumumba…

En quoi l’exemple belge de colonisation est-il différent des autres ?

À l’époque de Léopold II, la colonisation belge se distingue clairement des autres empires coloniaux. Face à l’anticolonialisme d’une grande partie de l’opinion publique, le souverain décide dès 1885 de faire du Congo sa propriété personnelle, administrée par des experts recrutés aux quatre coins du monde. Il faut attendre l’immense scandale des «mains coupées» pour que l’État belge récupère l’administration du Congo, en 1908.

Quelles sont les idées reçues par rapport aux empires coloniaux que vous combattez ?

L’un des principaux lieux communs est celui selon lequel les empires coloniaux auraient été conquis très rapidement et très aisément. Nous savons que ces conquêtes ont été souvent longues et difficiles. Les populations autochtones ont opposé une forte résistance, parfois victorieuse. Ainsi, le processus de décolonisation débute bien avant la Seconde Guerre mondiale et l’ère dite des Indépendances. Cette série montre que, depuis le milieu du XIX e siècle, de nombreuses femmes connues et surtout anonymes ont joué un rôle décisif dans la libération de leur pays, en Asie comme en Afrique.

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