Grippe espagnole : pandémie sur fond de guerre
Entre 1918 et 1919, la grippe espagnole cause, en trois vagues successives, cinquante millions de morts, soit cinq fois plus que la Grande Guerre. Ce samedi à 21h05 sur La Trois, «Retour aux sources» revient sur cette autre pandémie qui a marqué l’Histoire.
En 1918, balles et obus tuent moins qu’un virus qui se répand comme une traînée de poudre. La Première Guerre mondiale occasionne dix millions de victimes, la grippe espagnole en aurait fauché quelque cinquante millions, dont Guillaume Apollinaire et Edmond Rostand. Samedi soir sur La Trois, Élodie de Sélys nous raconte cette terrible pandémie. Longtemps présentée comme américaine (l’un des premiers cas recensés vient du Kansas), l’origine du virus ne fait pas l’unanimité : elle pourrait aussi être française ou asiatique. Mais une chose est sûre, depuis les centres d’entraînement américains, foyers de la maladie, les soldats déployés en Europe contribuent, au printemps 1918, à propager l’infection sur le front occidental, puis dans la population. Contrairement à son nom, l’épidémie n’a rien d’espagnol. Le royaume ibérique, alors neutre, est l’un des seuls pays où la presse ne subit pas la censure de la guerre. Pour ne pas miner le moral de ses troupes, ses voisins parlent de «grippe espagnole».
Mortelle deuxième vague
À une époque où les virus sont mal connus et les antibiotiques (utiles pour les surinfections) n’existent pas, cette «fièvre de trois jours», selon les soldats français, est toutefois bénigne et les décès sont peu nombreux.
«C’était la première vague de la pandémie, une vague relativement modérée qui, comme la grippe saisonnière, entraînait quelques perturbations mais pas de panique majeure», écrit Laura Spinney dans «La Grande tueuse : comment la grippe espagnole a changé le monde» (Albin Michel). «Elle eut toutefois un effet dévastateur sur le théâtre de la guerre en Europe, interférant de manière significative dans les opérations militaires.»
Au milieu de l’été, l’épidémie semble terminée. «En réalité, elle est toujours là, gagnant en sévérité ce qu’elle paraît avoir perdu en nombre de cas», écrit Claude Quétel dans «Grippe espagnole : le tueur que l’on n’attendait pas» (L’Histoire). Frappant à l’automne, la deuxième vague se révèle plus virulente et meurtrière. Aidé par une forte contagiosité et les célébrations de l’Armistice, le virus frappe avec force, surtout les adultes entre 20 et 45 ans.
«Pourtant, on ne s’émeut guère tant est grande la sidération provoquée par les morts de la Grande Guerre, tant aussi la grippe reste une maladie banale», poursuit Claude Quétel. «Ce n’est que sporadiquement que les autorités ferment les écoles ou les spectacles. À aucun moment les transports en commun, principal vecteur de la contagion, ne sont interrompus. Il n’est pas question non plus de fermer les usines, ni d’ailleurs les cafés.»
Traitements inefficaces
À côté des conseils prodigués (se laver les mains, éviter les lieux publics et isoler les malades), des traitements inefficaces voient le jour : saignées, tisanes, injection de térébenthine… On conseille même le rhum, qui vient à manquer et est alors vendu sur ordonnance en pharmacie !
En 1919, une troisième vague déferle sur la planète. Suivant voies de chemin de fer et routes maritimes, la grippe espagnole atteint les zones les plus reculées. Certains pays, comme l’Alaska ou les îles Samoa, lui payent un lourd tribut : plus de 20 % de leur population !
En juillet, la mutation du virus et l’immunité mettent fin à la pandémie qui aura contaminé entre 30 et 50 % de la population mondiale. Pourtant, celle-ci, rarement citée dans les événements majeurs du XXe siècle, a laissé peu de traces dans la mémoire collective. Car, pour Laura Spinney, «la grippe espagnole est un souvenir individuel, pas collectif. Elle n’est pas vue comme un grand désastre de l’Histoire, mais plutôt comme l’addition de millions de tragédies personnelles et discrètes.»
Cet article est paru dans le magazine Télépro du 26/11/2020
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