Goulag, mémoire vive
Dans un saisissant triptyque documentaire, qu’Arte diffuse ce mardi à partir de 20h50, le réalisateur Patrick Rotman, témoignages et images d’archives exceptionnels à l’appui, dissèque la mécanique du Goulag, l’un des systèmes répressifs les plus implacables du XXe siècle.
Quels éclairages nouveaux apporte ce documentaire sur l’histoire du Goulag et de ses camps ?
Notre ambition était de raconter une histoire globale de ce système concentrationnaire, de sa naissance à son déclin, là où les rares films existants en livrent une vision partielle. Nous voulions aussi raconter sa mise en place, avant même que le terme de “Goulag” ne fasse son apparition. Contrairement à une idée reçue, le système des camps ne naît pas avec Staline mais immédiatement après la révolution de 1917, dont il est directement issu.
Cette histoire, dites-vous, reste largement méconnue…
Les gens connaissent l’existence des camps du Goulag mais ils en mesurent rarement l’ampleur, à la fois dans la durée, puisqu’ils ont subsisté pendant plus de quarante ans, mais aussi d’un point de vue numérique. Si, outre les camps, on prend aussi en compte les villages de peuplement, où ont été déportées des populations entières de Polonais ou de Tchétchènes, entre autres, on estime à 40 millions le nombre de personnes concernées, dont 4 millions à 5 millions sont mortes, le tout sur un territoire immense s’étendant sur 10.000 à 12.000 kilomètres, d’est en ouest. Au-delà des camps, nous voulions raconter la démesure de ce système répressif, sans doute le plus perfectionné, vaste et dément de l’Histoire.
On ignore également que le Goulag a été un instrument économique essentiel…
Sa naissance en tant que système organisé correspond au moment où Staline lance le premier plan quinquennal et l’industrialisation à marche forcée du pays, dans les années 1930. Les zeks, comme on appelle les détenus des camps, constituent une main-d’œuvre réduite à l’esclavage, gratuite et inépuisable, qui réalise, au prix de souffrances atroces, les grands travaux du communisme dont s’enorgueillit le régime : canaux pharaoniques, immenses complexes…
Le système concentrationnaire reste-t-il aujourd’hui tabou en Russie ?
C’est une chape de plomb. Nicolas Werth, historien spécialiste de l’Union soviétique et coauteur du documentaire, a d’ailleurs été expulsé par le FSB, héritier du KGB, quand il s’est rendu à Moscou pour prendre des premiers contacts, il y a deux ans. On peut penser que le passé d’agent du KGB de Vladimir Poutine est pour quelque chose dans cette amnésie collective. Mais plus profondément, il existe une forme de nostalgie pour cette période où Staline défiait le monde et où l’Union soviétique dominait la moitié de la planète. Pour autant, les camps du Goulag sont dans toutes les têtes en Russie. Tout le monde connaît quelqu’un dont un parent a été déporté ou fusillé. Cela finira par s’exprimer sous une forme ou sous une autre, mais sans l’aide du régime russe.
Propos recueillis par Laetitia Moller
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