En vingt siècles, le chemin de la croix
Comment l’image du Christ en croix est-elle devenue le signe de ralliement des chrétiens ? Le magazine «Faire l’histoire» (Arte, 18.15) répond à la question.
Comment les chrétiens peuvent-ils faire d’un instrument de torture, la croix, leur signe de ralliement ?», interroge l’historien Patrick Boucheron. Ce samedi de Pâques, il consacre son émission «Faire l’histoire», sur Arte, à la croix chrétienne.
Une infamie
Pour qui a grandi dans la religion catholique, la croix est un objet à la fois central et banal. Un crucifix est accroché depuis toujours au-dessus de la porte, au-dessus du lit. Une petite croix est offerte pour un baptême… On sait ce que l’objet symbolise, mais on ne réfléchit plus trop à ce qu’il représente : un homme mourant sous la torture. Comment cette représentation du Christ souffrant s’est elle imposée ? Comme tout groupe nouvellement constitué, les premiers chrétiens ont eu besoin d’un signe de ralliement. Ils ont d’abord choisi le poisson. Car, à l’époque, la croix était infamante. On se souvient que Jésus fut crucifié entre deux voleurs. Le crucifiement était en effet la mise à mort que les Romains réservaient aux brigands. Une mort lente, voyante, exposée aux yeux de tous pour l’exemple.
Marquer les esprits
La première image du Christ en croix date du Ve siècle. À Rome, sur la porte de l’église Sainte-Sabine, un bas-relief représente la scène de la crucifixion. Cette représentation est assez différente du crucifix d’aujourd’hui. D’abord parce que le Christ y semble triomphant, ensuite parce que la croix n’est que l’un des éléments du bas-relief. Au fil des siècles, cette croix va se détacher pour devenir un objet à part entière : le crucifix. La Croix de Gero, installée dans la cathédrale de Cologne, constitue un tournant dans l’histoire du crucifix. Sculptée vers l’an 965, elle représente pour la première fois un Christ à taille humaine réelle. Dieu s’est fait homme. D’autant plus homme qu’il n’est plus représenté triomphant, mais souffrant : la tête affaissée, les yeux fermés, le corps tordu. Dans les siècles suivants, les Franciscains vont largement contribuer à la diffusion de ce type de grands crucifix. Selon la tradition, François d’Assise se serait en effet converti après qu’un crucifix se fut animé pour lui parler. À sa suite, les Franciscains vont donc installer de grands crucifix dans leurs églises pour marquer l’esprit des petites gens.
Sacré Félicien
À la fin du Moyen Âge, ces crucifix posent cependant question. Peut-on s’inspirer d’un modèle humain pour représenter le Christ ? Peut-on le figurer nu ? C’est Michel-Ange qui va trancher en 1492 avec son crucifix de Santo Spirito, réalisé d’après des études anatomiques sur les cadavres d’un hôpital florentin. C’est ce Christ profondément humain que l’on retrouve peu après dans sa fameuse Pietà. Et c’est ce Christ-là que l’on va retrouver dans toute la tradition iconographique jusqu’à la fin du XIXe siècle. À cette époque, pour susciter la compassion des fidèles, on y ajoute encore une couronne d’épines et des coulées de sang. Le premier à oser la transgression est un peintre belge : Félicien Rops. En 1878, dans «La Tentation de saint Antoine», il représente une femme nue en croix et remplace la mention INRI par EROS. L’image de la croix sera ensuite détournée par les Monty Python ou «L’Exorciste». Le pape François a cependant rappelé l’importance du crucifix : «En regardant Jésus crucifié, nous regardons notre salut !»
Cet article est paru dans le Télépro du 14/04/2022.
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