Emprise : la prison invisible

Passer de l’emprise à la déprise est un long chemin, mais ô combien salutaire ! © Getty Images

L’emprise d’une personne ou d’un groupe sur d’autres individus enferme les victimes plus sûrement que des barreaux. Ce mercredi à 22h35, Arte diffuse le documentaire «Adeptes, de l’emprise à la déprise».

«Je n’existais plus». Le titre du livre de la Docteure en anthropologie et assistante sociale belge Pascale Jamoulle reprend les mots d’une femme qui s’est confiée à elle. Une femme «longtemps asservie» qui va initier l’auteure à ce qu’elle nomme les énigmes de l’emprise.

«Car l’emprise d’un individu, d’un système prédateur, d’un dogme radical sur des personnes qui ont perdu leur liberté de penser et d’agir est un processus en apparence incompréhensible, énigmatique, accablant pour la raison», explique la professeure de l’Université de Louvain.

Pris au piège

Un récit, parmi beaucoup d’autres. Elle s’appelle Alidéa, elle témoigne dans le magazine français Causette. Alidéa a 19 ans quand elle croise la route de Marcel, de dix-huit ans son aîné. L’amoureux «mignon et assez flatteur» se transforme rapidement en geôlier dont l’étau se resserre, sans que l’entourage puisse s’en douter ou ose en parler. «Manipulation, dévalorisation, coups, insultes…» : pendant près de trois ans, la jeune femme vit une longue descente aux enfers.

Malgré la honte, la peur et parfois le déni qu’engendre cette situation pour les victimes, les témoignages sont nombreux. «Violences conjugales : j’ai brisé son emprise», titre un autre magazine. «Je ne réalisais pas que j’étais devenue sa chose», lit-on encore ailleurs. Des femmes, mais aussi des hommes, des familles voire des populations entières peuvent tomber sous la coupe de prédateurs ou de réseaux.

«Dans des réseaux de trafic de drogue, dans des systèmes intégristes, l’individu est aspiré dans une toile d’araignée dont il ne peut plus se défaire», explique Pascale Jamoulle.

À côté de tous ces récits individuels poignants, on trouve aussi «J’ai passé vingt ans sous l’emprise d’une secte» ou «Comment j’ai été victime d’une secte». C’est précisément sous cet angle que le documentaire «Adeptes, de l’emprise à la déprise», diffusé mercredi à 22h35 sur Arte, aborde le sujet. Avec une question centrale : en matière de dérives sectaires, comment sort-on de l’emprise ? Des récits croisés de victimes témoignent de la descente aux enfers et de la lutte pour s’arracher à la sujétion.

L’emprise

Pour le dictionnaire Larousse, l’emprise est un ascendant intellectuel ou moral de quelqu’un, l’influence de quelque chose sur une personne. Côté psychanalyse, on parlera plutôt d’une «relation de soumission de l’autre qui est considéré comme un objet, associée à l’impossibilité d’accepter l’autre dans sa différence et à la satisfaction de ses propres désirs au détriment du désir de l’autre, qui est nié».

Le psychologue clinicien et psychanalyste français Pascal Couderc évoque «une prison invisible dont les murs sont difficiles à repérer tant la manipulation de pervers narcissique est forte». Amener la confusion chez l’autre, l’isoler, le culpabiliser font partie des mécanismes qui amènent à ce que Pascale Jamoulle décrit comme «une lente dépersonnalisation, passant par un état de dépendance et de soumission (…). Et l’identité se dissout jusqu’au néant».

La déprise

Comment s’en sortir, faire en sorte qu’à l’emprise succède la déprise ? Pour Pascal Couderc, c’est un chemin long et fastidieux : «Il faut réapprendre à penser par et pour soi-même avec l’aide de l’entourage, d’un psy habitué aux techniques de manipulation des pervers narcissiques», explique-t-il sur le site pervers-narcissique.com.

Cette libération passe en priorité par une prise de conscience, délicate et cruciale. Viendra ensuite le temps de demander de l’aide, de se préparer, de se protéger, de se reconstruire. Pour Pascale Jamoulle, «la déprise est une trajectoire dans laquelle des micro-événements, des rencontres de circonstances, de toutes petites résistances, des pensées futiles vont se faire jour et s’accumuler». Une autre vie peut alors se dessiner, pas à pas.

Cet article est paru dans le Télépro du 15/6/2023

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