Donation de Constantin : le plus célèbre faux de l’Histoire
Selon la donation de Constantin, l’Empereur aurait fait don du pouvoir sur Rome à la papauté.
Des faux de l’affaire Dreyfus aux carnets de Hitler, en passant par les Protocoles des Sages de Sion, de nombreuses forgeries ont émaillé l’Histoire. Sur Arte, ce vendredi à 13h05 dans «Quand l’Histoire fait dates», Patrick Boucheron revient sur l’un des plus célèbres, ou du moins le plus influent, d’entre eux : la donation de Constantin. En 315, l’empereur Constantin règne sur l’Empire romain.
La légende raconte que, victime de la lèpre, il aurait été guéri par le pape Sylvestre Ier . Reconnaissant, l’Empereur lui offre un cadeau dans un texte qui se veut solennel et à durée perpétuelle. En plus d’y confesser sa foi chrétienne, il donne au pontife, et à tous ses successeurs, le palais impérial de Latran, le diadème, le manteau de pourpre et tous les autres insignes du pouvoir impérial. Mais surtout, il cède la ville de Rome et toutes les régions occidentales de son empire, lui-même se repliant sur sa partie orientale où il fonde la ville qui porte son nom, Constantinople.
Utilisé au XIe siècle
Fait étrange : cette donation mentionne à plusieurs reprises Constantinople, dont la fondation est pourtant postérieure au document ! Autre fait étonnant : aucune source romaine ne mentionne ce texte à l’importance pourtant capitale. Et d’ailleurs, comment expliquer que cette donation semble s’évanouir dans la nature pour réapparaître sept siècles plus tard ? En effet, ce n’est que dans la seconde moitié du XIe siècle, au moment où s’accentue la rivalité entre la papauté et le Saint-Empire romain germanique, que les papes semblent s’en souvenir et font valoir leurs droits.
«Ce document fut sporadiquement utilisé par la papauté à partir de Léon IX (1049-1054), mais surtout au XIII e siècle pour conforter ses prétentions théocratiques», écrit Laurent Morelle dans «Des faux par milliers» (L’Histoire). «Lors de la lutte de la papauté et de l’Empire, et notamment sous Frédéric Barberousse au XIIe siècle, ce texte fut dénoncé voire taxé de fable aussi bien par les partisans de l’Empereur que par des gens d’Église adeptes de la pauvreté évangélique. Les premiers comprenaient mal comment Constantin en tant qu’ Augustus , du verbe augere , “augmenter” avait pu souhaiter diminuer l’Empire ; les autres contestaient eux aussi la validité du geste en montrant à quel point la richesse s’accordait mal à la sainteté de Sylvestre.»
Supercherie dévoilée
Quoi qu’il en soit, ce texte exerce une influence considérable à l’époque médiévale. «C’est la donation de Constantin qui légitime le pouvoir temporel des papes», explique Patrick Boucheron. «C’est par cette donation que la papauté devient, au cours du Moyen Âge, une puissance territoriale dont l’État du Vatican actuel n’est que le très lointain souvenir.» Finalement, en 1440, l’humaniste Lorenzo Valla met le doigt sur les erreurs philologiques et historiques du texte et publie une réfutation (qui peut être considérée comme fondatrice de la critique moderne). Il y écrit : «J’accuse les pontifes romains soit d’ignorance grossière, soit d’horrible avarice.»
Encore aujourd’hui, les historiens sont unanimes : ce faux ne peut dater du IVe siècle. Une idée acceptée par l’Église au… XIXe siècle ! Mais alors, quand ce texte a-t-il été écrit et par qui ? Son origine reste toujours une énigme. Les hypothèses avancées ciblent l’époque carolingienne (entre 750 et 840), quand émergent un nouveau pouvoir d’Occident et l’ambition théocratique des papes. Une histoire mystérieuse qui fait dire à l’historien que «les événements qui n’ont pas eu lieu ont parfois autant d’importance que les événements qui ont eu lieu…»
Cet article est paru dans le Télépro du 18/1/2024
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