Après quarante ans de politique de l’enfant unique, la Chine manque de femmes. Alors, l’État les presse de se marier… Pour les «vieilles filles», la pression sociale est rude… Ce mercredi à 22h35, Arte va à leur rencontre avec le documentaire «Les Mal-aimées de la Chine».
Vous êtes une femme ? Vous avez plus de 27 ans ? Vous êtes toujours célibataire ? En Chine, vous seriez considérée comme une «sheng nu», une «fille qui reste». À la campagne, on vous traiterait même de «chienne solitaire»… Pourquoi une telle pression ? Parce que le pays manque de femmes. Après quarante ans de politique de l’enfant unique, les hommes sont en surnombre. Et il leur faut des épouses… Mais toutes les jeunes Chinoises n’ont pas envie de se marier. Parmi les plus éduquées, certaines font de la résistance. Ce sont «Les Mal-aimées de la Chine», à découvrir mercredi soir sur Arte.
La risée du village
Elle s’appelle Qiu Huamei. Elle a 34 ans. À la ville, c’est une brillante avocate, associée à un cabinet international spécialisé en droit de la propriété intellectuelle. Mais quand elle rentre chez ses parents, à cinq heures de route de Pékin, ce n’est plus qu’une petite fille en larmes. Dans cette campagne où l’on cultive le coton et le maïs, le père de Huamei a eu le malheur de n’avoir que des filles. Toute sa vie, il a été la risée du village. Maintenant que ses filles sont mariées, la page est tournée. Mais il reste celle-là, qui résiste. Et qui lui fait honte. Alors, dès qu’elle rentre quelques jours, toute la famille lui met la pression. La mère : «Alors, t’as trouvé quelqu’un ?» La père : «Il faut que tu te dépêches. Tu as plus de 30 ans et tu es toujours célibataire. C’est très lourd à porter pour nous. Ça me réveille en pleine nuit.» La sœur : «Tant que tu n’auras pas fondé une famille, papa et maman ne seront pas tranquilles. Tu leur causes du souci. Tu penses à ce que les voisins vont dire de notre famille ?» La mère : «Je suis vieille, je suis malade. Si tu étais mariée, je serais soulagée…» Chantage, culpabilisation, intimidation : tout est bon pour pousser Huamei à trouver un mari.
Les pieds bandés
Cette pression au mariage a été mise en place par l’État chinois. C’est l’une des conséquences de la politique de l’enfant unique. Depuis 1979 et jusqu’il y a peu, les couples chinois étaient contraints de n’avoir qu’un seul enfant. Ils préféraient de loin que ce soit un garçon, capable d’assurer leur avenir. Bon nombre de petites filles ont donc été éliminées. En quarante ans, on estime que la Chine a pratiqué 330 millions d’avortements. Selon les chiffres de l’ONU, en 2005, il y avait encore 120 naissances de garçons pour 100 naissances de filles. Résultat : il manque aujourd’hui 40 millions de femmes pour combler tous les hommes à marier. L’État presse donc les célibataires à accepter un époux. «On se croirait à l’époque où les femmes avaient les pieds bandés», soupire Huamei. «En Chine, c’est comme si toutes les chaussures n’existaient qu’en une seule pointure. Même si tu as le pied plus grand, il faut à tout prix qu’il rentre dans la chaussure. Pour les femmes qui n’ont pas beaucoup d’ambition, ça peut convenir. S’occuper d’une famille peut leur suffire. Elles peuvent même trouver que ces chaussures sont très confortables. Mais moi qui ai de grands pieds, qui aime bien courir, qui ai encore plein de rêves et d’envies, je ne rentre pas dans ces chaussures. Si je force, elles vont me serrer et me faire mal. Je n’ai pas du tout envie de ça.»
Cet article est paru dans le magazine Télépro du 4/6/2020