Château de la Wartbourg : si les briques pouvaient parler

Au fil de spectaculaires prises de vue et de récits d’experts pour le documentaire «Un château idéal : la Wartbourg», Arte revisite samedi à 23h20 l’histoire allemande à travers un témoin d’exception : un château presque millénaire.

Édifié en 1067 en surplomb de la forêt de Thuringe, à Eisenach, au centre de l’Allemagne, le château de la Wartbourg est l’un des monuments les mieux conservés de la fin de l’époque romane. En près de mille ans d’histoire, les murs de celui qui est aujourd’hui un emblème allemand ont été le théâtre de nombreux événements à la fois légendaires et historiques.

Légende originelle

C’est au comte Louis le Sauteur que l’Allemagne doit l’imposant édifice de la Wartbourg. À la fin du XI^e siècle, le noble parcourt, avec sa suite, la Thuringe actuelle. En découvrant le site incroyable qui accueillera le château, la légende raconte que le futur bâtisseur déclara : « Attends montagne (en allemand «  warte berg  », qui deviendra Wartbourg), tu porteras ma forteresse ! » L’objectif de Louis le Sauteur, en posant la première pierre, ne fait aucun doute : assoir l’influence de sa dynastie, les Ludovingiens. Cependant, le sol sur lequel il entend bâtir son rêve ne lui appartient pas. L’affaire donne lieu à un procès et le comte doit jurer, devant un tribunal d’ecclésiastiques, qu’il possède bien le terrain où la construction du château a débuté. Pour s’arranger avec sa conscience, il fait alors acheminer des paniers de terre provenant de son domaine existant et les répand sur son nouveau lieu de villégiature pour attester que la Wartbourg est bien à lui. « Un cas d’école d’appropriation foncière », indique-t-on dans le documentaire, « du moins si cette légende a un fond de vérité ! »

« The Voice » à la médiévale

Vers 1200, sous l’impulsion d’Hermann I^er de Thuringe, ami des grands poètes de son époque, le château de la Wartbourg devient un haut lieu culturel. Le fils de Louis II favorise notamment l’art de la Minnesang, soit la poésie courtoise chantée. C’est dans cette atmosphère artistique que se serait tenu le « tournoi des chanteurs de la Wartbourg ». Selon la légende, durant plusieurs jours, des ménestrels venus de toute la région s’affrontaient dans une lutte intellectuelle et artistique. Le concours vise alors à élire le meilleur poète chanteur du royaume. Si des doutes sont permis quant à la véracité de cet événement, représenté dans une majestueuse fresque toujours exposée au château, Hermann a bien été l’un des plus grands mécènes de son temps. Et, au fil des siècles, le mythique tournoi des chanteurs de la Wartbourg inspira de nombreuses œuvres, dont le célèbre opéra « Tannhäuser », créé par Richard Wagner en 1845.

Célèbre exil

En 1521, pour avoir ouvertement critiqué les pratiques de l’Église catholique, notamment le commerce des indulgences, soit le pardon de certains péchés moyennant une somme d’argent, Martin Luther, théologien et professeur allemand, est excommunié et déclaré hors-la-loi par l’empereur Charles Quint. Devenu officiellement un hérétique, Luther craint pour sa vie. Il va s’en sortir grâce à un habile stratagème : un faux kidnapping. Une exfiltration sous haute tension orchestrée par l’un des amis de Luther, le prince de Saxe, Frédéric III le Sage, alors à la tête du château de la Wartbourg. Une fois à l’abri, Martin Luther vit sous la fausse identité du chevalier Georges. Et c’est dans l’enceinte du château que le réformateur rédigera sa traduction du Nouveau Testament dans un allemand accessible au plus grand nombre, faisant définitivement entrer la forteresse dans l’Histoire. 

Cet article est paru dans le Télépro du 20/2/2025