Ce diable de Raymond Radiguet
Un amour interdit, une promotion tapageuse, un auteur mort à 20 ans… «Le Diable au corps» est un vrai roman à scandale. Ce mercredi à 23h, Arte diffuse le documentaire « »Le Diable au corps », sensuel et sans remords»
«Je vais encourir bien des reproches. Mais qu’y puis-je ? Est-ce ma faute si j’eus 12 ans quelques mois avant la déclaration de la guerre ?» Ces quelques mots sont les premiers d’une œuvre sulfureuse : «Le Diable au corps», de Raymond Radiguet. En 2023, on commémorera le 100e anniversaire de la publication du livre, mais aussi le 100e anniversaire de la mort de son auteur, à l’âge de 20 ans. Ce mercredi à 23h, Arte nous ramène en 1923, à l’époque du scandale…
Le bon coup
L’histoire du «Diable au corps» se déroule pendant la Première Guerre mondiale. Un jeune homme séduit une femme dont le mari est parti au front. Il a 15 ans, elle en a 18… En lisant le manuscrit, l’éditeur parisien Bernard Grasset flaire le bon coup. D’autant que l’auteur a tout juste l’âge de son héros.
À la parution du livre, au printemps 1923, il lance donc une campagne de réclame tapageuse et tout à fait inédite pour l’époque. «Le plus jeune romancier français», proclament les affiches. «Le premier livre d’un romancier de 17 ans», entend-on dans les actualités cinématographiques. Radiguet est comparé à Rimbaud. La première édition du livre s’écoule en quelques jours, et il s’en vend cent mille exemplaires en quelques semaines.
Une œuvre lubrique
Le livre de Radiguet choque tant l’opinion publique que la critique. Aujourd’hui, on se scandaliserait sans doute du jeune âge des protagonistes. À l’époque, le problème n’est pas là. On arrête l’école à 12 ans, on travaille ensuite à la mine ou à l’usine et le concept d’adolescence n’existe pas. Les amants sont jeunes, mais alors considérés comme des adultes consentants.
Ce qui choque, c’est d’abord la liaison adultère, contraire aux prescriptions morales et religieuses. La presse évoque «une œuvre lubrique». Mais ce qui choque plus encore, c’est que les amants profitent de la guerre. Sans la guerre, sans l’absence du mari, leur histoire n’aurait pas existé. C’est là qu’est le scandale : pendant que le mari risque sa vie pour défendre la patrie, l’épouse et ce jeune homme prennent du bon temps…
Des paroles sacrilèges
Bien que Radiguet l’ait toujours nié, il semble que cette histoire soit autobiographique. À 14 ans, il a lui-même eu une liaison avec une institutrice dont le fiancé avait été mobilisé. «Que ceux qui m’en veulent se représentent ce que fut la guerre pour tant de très jeunes garçons : quatre ans de grandes vacances», écrit-il dès l’entame de son roman.
Moins de cinq ans après la fin du conflit, ce sont des paroles sacrilèges pour la plupart des Français. Radiguet est cependant félicité par quelques grands auteurs, comme Paul Valéry ou Jean Cocteau, qui l’a pris sous son aile. On le dit promis à un bel avenir littéraire.
Malheureusement, à l’automne 1923, il contracte une fièvre typhoïde après une baignade dans la Seine. «Je vais être fusillé par les soldats de Dieu», dit-il à Cocteau. Il meurt à 20 ans.
Cet article est paru dans le Télépro du 17/11/2022
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici