Byssus : la toile mystérieuse
Des Écritures saintes à la littérature moderne, le byssus, dont on tissait la «soie de la mer», habille l’Histoire de prestige et de secret. Ce samedi à 18h15 sur Arte, «GEO Reportage» nous le dévoile.
Jules Verne, «Vingt mille lieues sous les mers», Partie 1, Chapitre 15. Rescapé d’un naufrage, le professeur Aronnax et ses compagnons d’infortune sont recueillis par le capitaine Nemo à bord du Nautilus. Après une longue nuit de sommeil, l’enthousiaste scientifique se réveille et s’habille pour rencontrer le maître des lieux : «Bientôt j’eus revêtu mes vêtements de byssus (…). Ils étaient fabriqués avec les filaments lustrés et soyeux qui rattachent aux rochers les «jambonneaux», sortes de coquilles très abondantes sur les rivages de la Méditerranée. Autrefois, on en faisait de belles étoffes, des bas, des gants, car ils étaient à la fois très moelleux et très chauds.»
Byssus ? Vous avez dit «byssus» ? Extrait de l’Ancien testament : «Et le Seigneur dit encore aux anges Michel et Uriel : « Apportez-moi trois vêtements de lin de byssus et étendez-les sur Adam ».»
Décidément, sans être partout, il est bien installé dans la place ce byssus. Mais qui est-il ?
Il y a byssus…
Lorsqu’il est question de byssus, tout le monde ne semble pas parler de la même chose. Pour les Français du Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL), il s’agit en premier lieu d’une «matière textile, sorte de lin que les anciens teignaient en pourpre et dont ils fabriquaient de riches étoffes».
Là où on semble s’emmêler les pinceaux, c’est au niveau de la traduction des textes anciens. Dans les Écritures saintes notamment. En hébreu, plusieurs mots différents ont été traduits par «lin» alors qu’ils peuvent aussi signifier «byssus» pour l’un, «coton» pour un autre, «blanc» ou «fil tissé» pour d’autres encore.
En définitive, certains linguistes en arrivent à la conclusion que le mot «byssus» n’apparaît jamais tel quel dans la Bible originelle. Selon le site etoffe.com, le lin fin mentionné quarante fois dans les Écritures pourrait-être de la nébula romana, une brume textile impalpable, identique à celle des étoffes à l’aspect magique retrouvées dans la tombe de Toutankhamon. Vous perdez le fil ? Passons à l’autre byssus.
… et byssus
Toujours pour le CNRTL, le terme peut aussi désigner «des filaments soyeux sécrétés par une glande de certains mollusques bivalves servant à fixer l’animal sur le rocher.»
Pour le coup, on fait une plongée dans les eaux de la Méditerranée. On parle alors de «laine de poisson», d’«or de Chypre» ou de «soie de la mer», vous avez le choix selon les régions. Dès l’Antiquité, des mains expertes arrachent ces fils de 6 cm extrêmement fins qui accrochent les mollusques Pinna nobilis (Grandes nacres) aux fonds marins. Ils les remontent à la surface où d’autres mains tout aussi adroites se chargent de les traiter. Lavage, dessalage, séchage, éclaircissement (dans de l’urine de vache…), etc.
«Pour réaliser 250 grammes de fil, un millier de Grandes nacres doit être pêché», précise le site de vêtements éthiques ExoticFibers. Rares donc chers, ce sont essentiellement les rois, les nantis et les hauts dignitaires religieux qui peuvent s’offrir des tenues, des bonnets ou des gants en byssus.
L’arrivée de la soie terrestre va sérieusement changer la donne. Aujourd’hui, la pêche de la Grande nacre est interdite en Europe, l’espèce est protégée depuis trente ans. En Sardaigne, le savoir-faire du tissage continue de se transmettre de génération en génération. Il est encore pratiqué sur l’île de Sant’Antioco, dans le respect de l’animal. Le byssus, cette fibre du passé, ne sera pas celle de demain…
Cet article est paru dans le Télépro du 8/6/2023
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