Boris Cyrulnik : «Peur et confiance nous remodèlent !»
Ce dimanche à 20h35 sur La Trois dans «Hep taxi !», le célèbre neuropsychiatre français embarque dans le taxi de Jérôme Colin, et apporte, avec sa clairvoyance habituelle, un regard plein de sagesse.
En cette période inédite, les propos de ce scientifique, devenu l’un des spécialistes de la résilience (processus où l’on parvient à surmonter un traumatisme pour se reconstruire), sont particulièrement précieux. Car l’observation du comportement humain, de ses plus belles facettes aux plus infâmes, a très tôt démarré pour lui…
Se sentir comme un monstre
Né de parents juifs en 1937, Boris Cyrulnik a vu ceux-ci être raflés durant la Seconde Guerre mondiale et emmenés à Auschwitz d’où ils ne reviendront pas. Le garçonnet sera aussi arrêté, parqué dans une synagogue. Il réussira à s’échapper, montera dans une camionnette, aidé par une infirmière, et s’enfuira. Direction : la campagne où des Justes lui offriront refuge, couvert et travaux de ferme.
Ce début de vie chahutée le fera réfléchir précocement. «Quand on m’a embarqué, j’ai pensé : « Ces adultes ne peuvent pas être sérieux. Pourquoi s’intéresser à un enfant de 7 ans ? » Ils portaient des chapeaux et lunettes noires, la nuit, pour ne pas être reconnus. Je pensais que c’était très drôle. Je ne pouvais pas les prendre au sérieux.»
L’après-guerre ne sera pas non plus une période aisée : «Neuf enfants juifs sur dix ont été tués. C’était difficile de dire ces choses. Ça me faisait me sentir comme un monstre. On ne me croyait pas. Ça m’a coupé en deux. Une partie de moi avait des amis, jouait au foot. L’autre moitié souffrait en silence.»
Ce que signifie être humain
À l’âge adulte, lui vient l’envie d’étudier la psychanalyse. Cyrulnik réévalue son existence avec «la rage de comprendre» qu’il considère comme positive et saine : «Au lieu de me sentir isolé et « monstrueux », je me suis senti plus proche des autres, fasciné par ce que signifie être humain.»
Parcourant le monde, l’homme travaille dans des orphelinats en Roumanie, en Colombie avec des enfants soldats ou encore au Rwanda avec des victimes du génocide. Et développe ses théories sur la résilience : «Ce n’est pas un trait de caractère : on ne naît pas plus ou moins résistant qu’autrui. Ce processus est un maillage : nous sommes obligés de nous tricoter, en utilisant les personnes et les choses rencontrées dans nos environnements émotionnels et sociaux. Quand ça va mieux, on se dit : « J’ai parcouru un sacré chemin, même si le voyage n’était pas toujours facile ».»
Redonner espoir
Aujourd’hui, le sage apporte son éclairage sur la crise du covid-19 : «On vivait dans une culture de sprint, toujours en course : on se préparait rapidement le matin, sautant rapidement dans un train, une voiture… On redécouvre maintenant de petits plaisirs qui sont bien plus essentiels que nous le pensions.»
Qu’en est-il du futur ? «Dans l’Histoire, après chaque désastre naturel ou culturel (guerre, insécurité sociale…), on a mis en place une nouvelle civilisation. Nous nous sommes améliorés. Pour cela, il faudra réfléchir, il y aura des débats et des désaccords, mais nous pouvons redonner espoir.»
Selon l’auteur d’«Un merveilleux malheur», nous vivons tous une expérience scientifique, politique et sociale : «Notre façon de naviguer entre la peur et la confiance nous remodèlera en tant que citoyens, amis, familles et voisins.» «Si nous profitons de cette catastrophe pour comprendre que des choses fonctionnaient mal, sans que l’on s’en rende compte, et que l’on met en œuvre une nouvelle façon d’être ensemble, nous pouvons alors profiter de ce malheur», conclut celui qui a déjà vécu de grands bouleversements dans son esprit et son cœur.
Cet article est paru dans le magazine Télépro du 7/5/2020
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