Berlin : la guerre des zoos

Heinrich Dathe © Getty Images
Stéphanie Breuer Journaliste

Durant la guerre froide, les zoos de la capitale allemande, coupée en deux, reproduisent à leur échelle le conflit entre Est et Ouest.

Ours à lunettes, pandas, éléphants, rhinocéros… Après la Seconde Guerre mondiale, les animaux deviennent les protagonistes d’une lutte de pouvoir ubuesque dans la ville divisée de Berlin. Au Jardin zoologique de l’Ouest et au Tierpark de l’Est, les pensionnaires poilus se transforment en pions politiques d’un conflit mené à distance par les deux directeurs. Une guerre idéologique par procuration racontée sur Arte (lundi à 12.05).

Inauguré en 1844, le Jardin zoologique de Berlin est le zoo le plus ancien d’Allemagne et l’un des plus diversifiés en espèces au monde. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il est presque entièrement détruit, victime des bombardements qui ont réduit Berlin en cendres. Son directeur, un nazi convaincu, a fui devant l’Armée rouge et seule une centaine d’animaux sur les trois mille que comptait le zoo a survécu. Pourtant, deux mois à peine après la fin du conflit, le zoo rouvre ses portes pour le plus grand plaisir des Berlinois, qui apportent leurs déchets de cuisine au célèbre hippopotame Knautschke.

Deux blocs, deux zoos

Si la vie reprend ses droits, la situation politique n’en reste pas moins instable et aboutit, en 1949, à la division de l’Allemagne en deux : la RFA à l’Ouest et la RDA à l’Est. Dans la capitale elle aussi divisée, Berlin-Ouest (où se trouve le Jardin zoologique) devient un îlot enclavé sur le territoire de la RDA, dont Berlin-Est est la capitale. Et celle-ci envisage alors de se doter de son propre zoo, et même de surpasser celui de la partie occidentale.

Travailleur acharné et zoologiste passionné, Heinrich Dathe prend la tête de ce nouveau Tierpark. Face au manque d’argent, de matériaux et de main-d‘œuvre de la RDA, sa tâche s’annonce colossale. Pourtant, le directeur parvient à faire sortir de terre, en un temps record, ce nouveau zoo, inauguré en 1955. Les dons d’animaux, pour peupler ce parc, affluent de toutes parts, comme des ours polaires offerts par une usine de réfrigérateurs ou des ours à lunettes par la Stasi.

À l’Ouest, le jeune directeur du Jardin zoologique, Heinz-Georg Klös, ne manque pas d’idées pour améliorer son parc animalier. En 1958, il le dote d’un pavillon pour singes très moderne. Commence alors une escalade pour obtenir des animaux spectaculaires destinés à attirer les foules. Dathe signe un gros coup lorsqu’il accueille le panda Chi Chi venu de Chine. Klös réplique en attirant Arjun, un rhinocéros indien. À l’Ouest comme à l’Est, le zoo devient une affaire politique et les deux directeurs n‘hésitent pas non plus à recevoir des invités de marque, comme le président vietnamien, Hô Chi Minh, qui offre l’éléphanteau Kosko au Tierpark.

Surenchère animalière

L’année 1961 marque le point de bascule avec la construction d’un mur séparant la ville en deux et destiné à empêcher les habitants de l’Est de fuir en RFA. La rivalité qui opposait jusqu’alors les deux zoos de la capitale allemande se mue en véritable guerre idéologique par procuration, où tous les coups sont permis. Les deux directeurs font de la surenchère : une immense volière à l’Ouest contre un pavillon pour fauves unique en son genre à l’Est.

En 1989, à la chute du mur de Berlin, les habitants de la ville célèbrent l’événement et se pressent dans les deux zoos, dont l’histoire est étroitement liée à celle de la guerre froide. Depuis que l’opposition Est-Ouest est reléguée au passé, le bras de fer politique pour accueillir des stars à quatre pattes a cessé et les deux zoos peuvent désormais cohabiter dans la grande ville réunifiée.

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