
Bataille de Waterloo : soldats plombés, soldats sucrés
Samedi à 11h30 dans «Objectif monde», TV5Monde nous entraîne à la recherche des milliers de corps de soldats morts lors de la bataille de Waterloo.
Juin 1815. Les troupes napoléoniennes sont mises en déroute à Waterloo par l’armée des Alliés, composée des Britanniques, des Allemands, des Néerlandais et des Prussiens. L’affrontement, particulièrement sanglant, marque la défaite finale de l’Empereur français. Il coûtera la vie à plus de vingt mille soldats. Pourtant, deux siècles et des poussières après cette épique bataille, alors que le site archéologique de Waterloo devrait regorger de squelettes, seuls quelques spécimens entiers et des ossements épars ont été retrouvés. Trop peu selon les historiens.
Témoins contemporains
Tandis que les canons de la bataille fument encore, de nombreux curieux se pressent sur les lieux. Quidams, peintres et écrivains rendent compte de l’ambiance post-lutte. C’est à la lumière de ces foisonnantes attestations du passé que nos historiens peuvent établir plusieurs certitudes. L’une d’entre elles, émise par l’archéologue britannique Tony Pollard, responsable du projet « Waterloo Uncovered » destiné à comprendre où sont passés les défunts soldats, est que trois fosses communes ont été creusées à l’époque et qu’au moins treize mille corps y ont été entassés. Si plusieurs hypothèses crédibles peuvent expliquer l’absence d’une partie des squelettes – certains ont, par exemple, été brûlés sur des bûchers funéraires -, ces différentes pistes ne justifient pas, à elles seules, l’évaporation de tous les corps. « Selon des témoins oculaires, l’incinération n’a été que partielle, et nombre d’entre eux, en particulier ceux situés à la base des entassements, sont demeurés intacts. Par ailleurs, tous n’ont pas été enfouis dans des charniers, et il est acquis que les tombes individuelles, peu profondes, jonchaient le terrain », détaille Ça m’intéresse. « Dans ces conditions, l’évanouissement complet des morts et de leurs chevaux (plusieurs milliers au minimum) est un mystère. »
Monnaie souterraine
Pour résoudre l’énigme, Tony Pollard s’est vu prêter main forte par l‘archiviste belge Bernard Wilkin et Robin Schäfer, chercheur indépendant allemand. Après avoir exploré des voies finalement infructueuses, dont celle d’ossements déterrés pour servir d’engrais à la Grande-Bretagne, l’attention des trois chercheurs est captée par une déclaration datant du 13 juillet 1835 et émise par le bourgmestre de Braine-l’Alleud. Dans le texte, l’élu remémore aux habitants de sa commune ainsi que celles voisines, et plus spécifiquement aux propriétaires cultivateurs des terres situées dans le champ de bataille, que déterrer des ossements est passible d’un emprisonnement de trois mois à un an et d’une amende de 10 à 200 francs. Mais pourquoi un tel rappel à la loi, deux décennies après la fin du conflit ? « À l’époque, du côté de Waterloo, la betterave supplante désormais le froment. En cause, l’industrie sucrière qui s’installe et qui en est très demandeuse », explique Bernard Wilkin dans les pages du Soir. Afin de produire tout ce sucre, il faut en passer par l’étape de la clarification du sirop pour laquelle un élément est essentiel : le charbon animal. Comprenez, une substance obtenue en brûlant une grande quantité d’os. Jusqu’alors commerce destiné aux plus miséreux, récupérant habituellement les carcasses à la sortie des abattoirs, l’ossement devient donc une denrée prisée. Un boom qui provoque une pénurie poussant les fournisseurs à se servir… dans les charniers de Waterloo ! « Une fois pulvérisé, qui fera la différence entre le fémur d’un bœuf et celui d’un humain ? »
Pas de sensibleries
Quel regard porter sur l’attitude de nos ancêtres ? Selon Éric Bousmar, professeur d’Histoire à l‘UCLouvain, il est essentiel de ne pas oublier que les autochtones ont vécu cette bataille de Waterloo « comme quelque chose d’importé au milieu de leurs champs et de leurs fermes », commente-t-il pour Ça m’intéresse. « Zéro émotion, donc, de l’argent facilement gagné et quasiment aucun risque, malgré l’avertissement du bourgmestre. »
Cet article est paru dans le Télépro du 24/4/2025
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