Avare de bons mots ? Molière ne l’était guère !

Il nous a légué quelques perles de la langue française ! © Getty

Acteur et dramaturge insolent du XVII e siècle, Jean-Baptiste Poquelin (1622-1673, dit Molière), n’avait pas son pareil pour croquer les travers de son époque. Et nous inspirer pour décrire les nôtres. Morceaux choisis.

«Qu’allait-il faire dans cette galère ?»

Empruntée à la pièce «Le Pédant joué» de Savinien de Cyrano de Bergerac, cette phrase a connu plus de résonnance dans «Les Fourberies de Scapin» (1671), comédie où les jeunes Octave et Léandre s’éprennent respectivement de Hyacinte et Zerbinette (à voir sur ce vendredi à 20h50 sur France 5). Léandre se marie et espère soutirer des écus à son paternel, Géronte. Son valet Scapin l’aide en racontant un mensonge : Léandre s’est embarqué dans une galère turque et si son père ne verse rien au commandant du bateau, il emmènera son fils. Géronte, très pingre, s’inquiète plus pour son argent que pour Léandre et, tétanisé, ne fait que dire : «Que diable allait-il faire dans cette galère ?» Répété six fois dans la scène, cela a fait beaucoup rire le public. Et est passé dans le langage courant : «Dans quoi s’est-il embarqué ?»

«Il n’y a point de pires sourds que ceux qui ne veulent pas entendre.»

C’est dans «L’Amour médecin» (1665) qu’est cité ce proverbe, déjà usité en vieux français depuis le XIVe siècle. La pièce narre les tribulations de Sganarelle, un veuf qui veut garder sa fille Lucinde pour lui seul. Mais elle souhaite se marier et compte sur la complicité de Lisette, sa servante. Celle-ci fait croire au père que sa fille est suicidaire. Aucun des docteurs convoqués ne trouve de remède. Sganarelle l’a pourtant sous les yeux : Lucinde veut vivre sa vie ! Il n’est de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre… Ce proverbe désigne encore aujourd’hui la surdité intellectuelle ou morale. Et le refuge dans le déni.

«Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger.»

Socrate a créé cet aphorisme en latin : Ede ut vivas, ne vivas ut edas. Molière lui donne plus d’épaisseur grâce à l’ironique «Avare» (1668) où Harpagon rechigne à offrir aux invités de son dîner tous les mets que son domestique aimerait préparer. Lui conseillant d’alléger le menu, il dit : «Il faut que la frugalité règne dans les repas qu’on donne et que, suivant le dire d’un ancien : il faut manger pour vivre et non vivre pour manger !» Si l’expression épingle désormais les excès gourmands, elle désignait alors l’avarice et le désir d’économiser.

«Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage !»

Ce proverbe latin du XIIIe siècle entre dans le langage populaire grâce aux «Femmes Savantes» (1672) où des filles à marier sont courtisées par Trissotin, faux érudit qui convoite leur fortune. Il séduit la plus idéaliste, Henriette, qui rêve de mariage et d’enfants. Mais Clitandre, vraiment amoureux de cette dernière, parvient à triompher des mensonges de Trissotin en étant, lui, un soupirant honnête. La servante Martine, spectatrice de l’intrigue, lâche : «Qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage. Et service d’autrui n’est pas un héritage.» La réplique désigne désormais toute tentative d’évincer, par la salissure, un(e) concurrent(e).

«Par la Corbleu ! Verubleu ! Morbleu !»

À l’époque de Poquelin, aucun juron ne devait contenir le nom de Dieu. «Aussi retrouve-t-on dans l’œuvre de Molière, pour contourner l’interdit, les Corbleu ! ou Morbleu !», explique Alice Develey, journaliste littéraire. «Afin de singer, avec l’assonance en «eu», le nom de Dieu». «Tête-bleu ! Ce me sont de mortelles blessures, De voir qu’avec le vice on garde des mesures !», lance le colérique Alceste, dans «Le Misanthrope» (1666). À nous d’en faire encore usage – ou non – pour râler sans être grossier !

Cet article est paru dans le magazine Télépro du 19/11/2020

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