Auguste III de Saxe et ses chasseurs de trésors
Durant l’âge baroque, Auguste III de Saxe, prince-électeur, un titre de haute noblesse, est parvenu à amasser l’une des plus imposantes collections d’œuvres d’art en Europe.
À la manière d’une enquête, samedi à 20h50 avec le documentaire «Chasseurs de trésors au service du Roi», Arte nous emmène sur les origines de l’incroyable collection d’art du souverain Auguste III (1696-1763), roi de Pologne et grand-duc de Lituanie. Comment certaines des plus belles œuvres ont-elles été centralisées au cœur de l’ancien royaume de Saxe ? Réponses.
Passion familiale
Chez les Saxe, l’amour de l’art n’est pas né avec Auguste III. Bien avant lui, en 1560, le duc Auguste Ier de Saxe (1526-1586) fonde une collection artistique qu’il installe dans les combles du château dit de la Résidence, à Dresde. Grâce à l’immense richesse dont Auguste Ier jouit, due à l’exploitation de mines d’argent par ses ancêtres depuis le XIIe siècle, le duc agrémente sa collection de nombreuses pierres précieuses, de marbres et de médailles.
Son successeur, Christian Ier (1560-1591), est habité par la même fièvre de l’accumulation. Plus porté sur les estampes et gravures, Christian va faire l’acquisition de pas moins de 182 pièces d’art graphique signées Albrecht Dürer (1471-1528), dessinateur, graveur et peintre allemand de la Renaissance. Mais c’est August II dit le Fort (1670-1733) qui donne un coup d’accélérateur à la collection. Peintures, armes, pièces d’argenterie et orfèvrerie ornent le château de Dresde, au mépris de l’endettement….
Un faste qui fera dire à Voltaire que «la cour de Saxe d’Auguste le Fort était la plus brillante d’Europe après celle de Louis XIV».
Réseaux d’agents
L’objectif de ces acquisitions est plus grand encore que l’amour de l’art, il est politique. «Auguste II le Fort et Auguste III espéraient par ce biais hisser leur État au niveau de prestige des principales puissances européennes», détaille-t-on sur le site Munich & Co.
Pour faire honneur à l’entreprise de son paternel, Auguste III, désormais aux commandes, décide de s’entourer d’une équipe de «chasseurs de trésors». Le comte Heinrich von Brühl, premier ministre d’Auguste III, se voit chargé de l’acquisition d’art en plus de la gestion du pays. Heureusement, ce dernier connaît une perle en la matière, Carl Heinrich von Heineken, devenu célèbre pour sa traduction de l’ouvrage «Traité du sublime», une œuvre grecque considéré comme un classique sur l’esthétique.
Fort de cette réputation, Carl est nommé directeur du cabinet d’estampes du Roi. En l’espace d’une décennie, grâce à ses connaissances et ses innombrables contacts à travers toute l’Europe, von Heineken acquiert près de 80.000 œuvres graphiques pour la cour. Des peintures du Corrège et de Raphaël rejoignent aussi la collection par l’intermédiaire de Carl.
Mais comment réussir un tel tour de force ? «Heineken est en contact avec plusieurs marchands et connaisseurs à Paris qui lui transmettent des informations et qui lui vendent des œuvres graphiques pour le cabinet des estampes du roi», explique l’historienne Virginie Spenlé dans ses travaux sur «Le Réseau européen de l’art au XVIIIe siècle». «Carl Heinrich von Heineken est l’un des amateurs les plus respectés de son époque. C’est un véritable spécialiste des arts graphiques qui marchande un grand nombre d’estampes modernes et anciennes.»
On ferme boutique
La folie acheteuse va être stoppée net par la guerre qui éclate en 1756. Ce conflit, qui sera plus tard renommé Guerre de sept ans, prend part dans toute l’Europe. Il oppose principalement la France et l’Angleterre sur des questions de commerce et de colonies.
De cette bataille, la Saxe sort exsangue et envahie par les troupes prussiennes. Auguste III et son premier ministre meurent et le nouveau gouvernement est bien décidé à mettre fin aux dépenses excessives de ses prédécesseurs. «Heineken, désormais dénué de protecteur, est accusé d’avoir détourné des fonds publics et vendu illégalement des tableaux de la galerie électorale», poursuit Virginie Spenlé.
Démis de ses fonctions, incarcéré et puis finalement acquitté, Heineken sera néanmoins sommé de quitter Dresde. Il consacrera le reste de son existence en exil à écrire des ouvrages sur l’art.
Cet article est paru dans le Télépro du 18/11/2021
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici