Auf Wiedersehen, Lili Marleen

Image extraite du film «Lili Marleen» diffusé ce lundi sur Arte, avec Hanna Schygulla dans le rôle-titre © Arte

On associe «Lili Marlene» à Marlene Dietrich. Mais derrière cette chanson mythique, il y eut d’abord Goebbels et une pub de dentifrice.

«Adieu, Lili Marleen. Auf Wiedersehen, Lili Marleen.» C’est l’une des chansons les plus connues au monde. On pense généralement qu’elle date de la Seconde Guerre mondiale. Et qu’elle doit son titre à Marlene Dietrich. Mais l’histoire est plus ancienne, plus compliquée et plus tragique… Comme l’évoque le film de 1981 de Rainer Werner Fassbinder, «Lili Marleen», qu’Arte diffuse ce lundi à 20h50.

D’abord un bide

La genèse de cette chanson remonte à la Première Guerre mondiale. En avril 1915, Hans Leip est élève-officier à Berlin. Un soir de garde, à la veille d’être envoyé sur le front russe, il est pris de nostalgie. Il songe aux deux jeunes femmes qu’il a aimées, Lili et Marleen, qu’il ne reverra peut-être jamais. Il fond les deux images en une et écrit un poème à sa «Lili Marleen». Le texte est titré «Lied eines jungen Wachtposten» – «Chanson d’une jeune sentinelle».

En 1939, ce texte est repéré par Lale Andersen, une chanteuse allemande de cabaret. L’un de ses amis le met en musique sur une mélodie qu’il avait d’abord conçue pour une pub de dentifrice. Le disque fait un bide : il s’en vend à peine sept cents exemplaires. L’histoire de Lili Marleen tombe dans l’oubli.

Un titre au hasard

Jusqu’en 1941… La Serbie est alors sous autorité nazie et c’est depuis Belgrade que la Wehrmacht émet des émissions à destination de ses soldats. Radio Belgrade est écoutée à travers toute l’Europe, jusqu’en Afrique du Nord. Un soir de 1941, alors que les installations ont été bombardées par les Anglais, l’animateur se trouve dépourvu : il ne reste rien de son stock de disques.

Seule la caisse de bides, rangée à part, a survécu. Il en sort alors un titre au hasard : celui de Lale Andersen chantant «Lili Marleen». Le titre devient alors populaire auprès des soldats, qui le redemandent encore et encore. Erwin Rommel, qui dirige l’Afrikakorps, est lui-même fan. La chansonnette d’amour devient une espèce hymne pour l’armée allemande.

La chanson de la Libération

Dans un premier temps, Joseph Goebbels, le ministre allemand de la Propagande, n’apprécie pas la ritournelle. Il trouve qu’elle est macabre et risque de démoraliser les troupes. Hitler n’est pas de cet avis. «Cette chanson risque de nous survivre», aurait-il même dit. Goebbels décide alors d’utiliser le succès de la chanson à son profit.

Il contraint Lale Andersen à devenir l’égérie de la propagande nazie. Mais le texte de la chanson n’a rien de précisément allemand. C’est juste l’histoire d’un soldat qui doit quitter sa bien-aimée. Les Anglais, les Français et les Américains s’y reconnaissent tout autant.

En l’espace de quelques mois, la chanson allemande devient celle de tous les belligérants. Plus encore à partir de 1944, quand Marlene Dietrich reprend le titre. Née allemande, opposée au régime nazi, naturalisée citoyenne américaine, Marlene Dietrich est un symbole. Dans sa bouche, «Lili Marlene» devient la chanson de la Libération.

À l’Eurovision

La personnalité et l’interprétation de Marlene Dietrich ont fait oublier Lale Andersen. Récupérée par Goebbels, la chanteuse allemande fut rapidement dépassée par le succès et les événements. Un soir de 1942, elle gifle un haut fonctionnaire nazi qu’elle juge trop entreprenant.

Par la suite, elle est assignée à résidence par la Gestapo et sa chanson interdite de diffusion. Après la guerre, Lale Andersen reste cependant très populaire en RFA. Elle représentera même l’Allemagne au concours Eurovision de 1961. Mais l’histoire ne se souvient que de Marlene…

Cet article est paru dans le Télépro du 16/6/2022

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici