Astrid Lindgren : mère de Fifi la féministe

Au lendemain du décès de la femme de lettres, à 94 ans, la Suède a créé le Prix Astrid Lindgren, deuxième prix littéraire en terme pécuniaire après... le prix Nobel ! © Getty Images

À l’image de son héroïne, la romancière suédoise, vénérée dans son pays, défendait avant l’heure l’écologie et les droits des femmes.

Une fillette à l’air effronté, affublée de tresses rousses, de grandes chaussettes et de godillots, avec pour compagnie un singe et un cheval. Le portrait vous dit quelque chose ? Fifi Brindacier ! Dimanche, les danseurs du Ballet royal de Suède revisitent les aventures de la jeune héroïne nordique (Arte, 23.45). L’occasion de revenir sur le parcours d’Astrid Lindgren (1907-2002), l’auteure suédoise qui a chamboulé la littérature jeunesse.

Du rire aux larmes

Le 14 novembre 1907, Samuel et Hanna Ericsson accueillent leur deuxième enfant : Astrid. Elle vit une enfance heureuse à Vimmerby, en Suède. Le passage à l’âge adulte est plus sombre. Engagée à 16 ans par le journal local, ses talents d’écriture sont remarqués par le rédacteur en chef, Reinhold Blomberg. Qui ne remarque pas que cela… À 19 ans, Astrid est enceinte d’un homme marié. Elle n’a d’autre choix que de partir pour Stockholm.

De guerre Lasse

Ses années dans la capitale sont pauvres et solitaires. Astrid étudie le secrétariat. Fin 1926, elle se rend au Danemark pour donner naissance à son fils, Lasse, dans un hôpital qui ne réclame pas le nom du père. La jeune maman rencontre la famille Steven, qui accepte de s’occuper de lui jusqu’à ce qu’elle soit en mesure de le ramener en Suède. Elle termine ses études et dépense chaque centime pour lui rendre visite. En 1929, Astrid récupère Lasse. Mais il parle danois et considère les Steven comme sa famille. La transition est rude. D’autant que le bambin a la coqueluche. Dépassée, Astrid retourne à Vimmerby pour le confier à sa famille.

Pippi au lit

Deux ans plus tard, elle épouse Sture Lindgren, son patron, et retrouve enfin son fils. En 1934, ils accueillent une petite sœur, Karin. Quand celle-ci est clouée au lit par une pneumonie, elle supplie sa mère de lui raconter les histoires de Pippi Långstrump (longues chaussettes, en suédois). Pendant plusieurs années, Astrid la divertit avec les aventures de la petite fille la plus forte du monde. Quand, en 1944, la conteuse est immobilisée pour une cheville foulée, elle met son livre par écrit et l’envoie au plus grand éditeur suédois. Jugé trop controversé, il est refusé. Elle le soumet alors au concours d’écriture de l’éditeur spécialisé dans la littérature jeunesse Rabén & Sjögren. Le livre remporte le premier prix et est publié.

Tornade littéraire

Le roman a un succès retentissant, faisant décoller sa maison d’édition. Submergés de travail, ils engagent Astrid comme responsable de la fiction jeunesse. Ce nouveau boulot ne l’empêche pas d’être prolifique : «Zozo la Tornade», «Les Frères Cœur-de-lion», «Mio, mon Mio»… La romancière publie une cinquantaine d’ouvrages. Et grâce à ses nombreuses casquettes, elle bouleverse totalement le paysage de cette frange de la littérature, luttant tout au long de sa vie en faveur des droits des enfants. Astrid Lindgren s’éteint le 28 janvier 2002 à 94 ans.

Fifi féministe

En Suède, Fifi, est une icône féministe. Loin du modèle de l’enfant sage, elle défie l’autorité avec son sourire frondeur. Être une fillette n’implique pas forcément d’être un modèle d’obéissance. Mais Fifi, malgré son succès, fait débat. Elle offrirait un mauvais exemple aux enfants. N’en déplaise aux anti-Fifi, ses aventures devenues cultes sont adaptées en films, séries, dessins animés et sont traduites dans plus de soixante langues.

Massacre français

Mais le français ne lui rend pas hommage. Conventionnelle et traditionnaliste, la version publiée par Hachette en 1951 est un massacre. Certains passages sont aseptisés voire supprimés, l’originalité du style a disparu, ainsi que la critique du monde des adultes. En un mot, l’œuvre est censurée et il faut attendre 1995 (!) pour que paraisse une traduction digne de ce nom…

Cet article est paru dans le Télépro du 20/1/2022

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