Ashcan, la prison secrète des nazis

Les prisonniers du Palace Hôtel de Mondorf-les-Bains posent de façon presque détachée... © DR

En 1945, les plus hauts dignitaires nazis furent incarcérés dans un hôtel luxembourgeois, à Mondorf-les-Bains, avant d’être jugés à Nuremberg. Samedi à 22h15, La Trois revient sur cet épisode de l’Histoire.

Sur la photo en noir et blanc, ils sont une quarantaine d’hommes à prendre la pause. On dirait presque une photo de classe, si ce n’est l’âge des personnages. Ils ont tous au moins la cinquantaine, portent pour la plupart un costume sombre et des chemises sans cravate. Ils fixent l’objectif. Le regard est froid, scrutateur, absent ou détaché.

Glacial !

Au centre de l’image, trônant au premier rang, un personnage sort du lot. Pas uniquement parce qu’il est le seul à avoir revêtu une tenue militaire claire, sans galon ni signe distinctif. Son regard est dur, sa posture théâtrale. C’est Hermann Goering, maréchal du Reich, un des bras droits d’Adolf Hitler. Parmi ses congénères, on reconnaît le grand amiral Karl Dönitz, le général Wilhelm Keitel, l’ancien ministre des Affaires étrangères Joachim von Ribbentrop et le célèbre Generalfeldmarschall von Rundstedt.

Nous sommes en 1945. Tous ces hauts dignitaires nazis du IIIe Reich ont été faits prisonniers et les Alliés les ont rassemblés avant leur procès. Celui-ci commence le 20 novembre à Nuremberg. En attendant, ils sont «incarcérés» dans un hôtel cossu au Luxembourg, niché au cœur d’un écrin de verdure dans la ville de Mondorf-les-Bains. Le Palace Hôtel devient pour six mois leur prison secrète.

Période grise

Si l’Histoire retient les points cruciaux de l’Armistice signé le 8 mai et du procès de Nuremberg le 20 novembre, elle est moins diserte sur ce qui se passe entre ces deux actes majeurs. Une période grise en quelque sorte. Six mois au cours desquels les Alliés vont découvrir le fonctionnement du régime nazi et comprendre comment fonctionnait la machine infernale qui a mis l’Europe à feu et à sang.

L’endroit a pour nom de code «Ashcan»», ce qui signifie «cendrier» en anglais. Officiellement, le camp a pour dénomination «Central continental prisoner of war enclosure n° 32», il est placé sous l’autorité des Américains. Au cours de cette période, il est surtout le décor de multiples interrogatoires. Sans avoir recours à la torture, de jeunes officiers US sont à pied d’œuvre.

John E. Dolibois est l’un d’entre eux. Né au Luxembourg en 1918, il a émigré aux États Unis avec ses parents en 1931. Quand il revient dans son pays natal, il fait partie des Ritchie boys, une unité spéciale de renseignement militaire. Sa mission : en raison de ses compétences en allemand, interroger avec cinq collègues certains des plus grands criminels de guerre emprisonnés à Mondorf-les-Bains.

Un témoignage inestimable

Comment s’y prendre face à ces monstres ? Quelle tactique mettre en place pour établir un lien et faire parler ces hommes ? Le témoignage de John Dolibois permet de mieux appréhender les stratégies mises en place par les uns et les autres. Dans une interview, il se souvient notamment de son arrivée au Palace. «Au rez-de-chaussée, les fenêtres étaient occultées de façon à ce qu’on ne puisse pas voir de l’extérieur ce qui se passait dans l’hôtel. Pourtant, le jour de mon arrivée, un habitant m’a interpellé en utilisant une expression qui ne laissait aucun doute : il savait que Goering était là».

La torture ? «Pas besoin d’y recourir. Il suffisait d’évoquer le fait qu’ils seraient remis aux Soviets s’ils ne nous répondaient pas.» L’attitude à adopter ? «Nous devions être de marbre, ne laisser transparaître aucune émotion.»

Des 86 prisonniers, 21 seront transférés et jugés à Nuremberg. Aujourd’hui, à Mondorf-les-Bains, le célèbre Palace Hôtel a disparu mais une rue «John Dolibois» a vu le jour, seul témoin de cette page secrète de l’Histoire, seul souvenir tangible des hommes déchus et inconscients de la suite de leur destin qui y ont vécu.

Cet article est paru dans le magazine Télépro du 20/2/2020

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici