Anne Morgan, une philanthrope sur le front

Récompensée par la Légion d’honneur dans l’entre-deux-guerres, Anne Morgan vouait une admiration au pays du Siècle des Lumières © RTBF
Stéphanie Breuer Journaliste

Riche héritière américaine et pionnière de l’humanitaire, Anne Morgan consacra sa fortune et son temps aux victimes civiles de la Grande Guerre.

«Autre chose qu’une riche imbécile ! » C’est ce qu’Anne Morgan, alors adolescente, répond lorsque son père, magnat américain de la finance, lui demande ce qu’elle veut devenir. Objectif atteint pour la riche héritière, qui deviendra une pionnière de l’humanitaire en venant en aide aux civils français sinistrés par la Grande Guerre. Retracé à partir de sa correspondance avec sa mère, un parcours inspirant à découvrir sur La Trois, ce samedi à 21h45, avec le documentaire «Anne Morgan, une Américaine sur le front».

Indépendante, féministe et altruiste. Trois traits qui caractérisent Anne Morgan (1873-1952), née à New York dans une famille richissime. Son père n’est autre que l’homme le plus puissant et le plus fortuné des États-Unis : John Pierpont Morgan, ancien marchand d’armes devenu banquier et, par ailleurs, propriétaire du Titanic. Pourtant, sa fille, la benjamine de la fratrie, choisit de mener une existence bien éloignée de la vie confortable que son appartenance à la haute société américaine lui assurait…

Femme libre et engagée

Engagée dans la cause des femmes, elle participe à la fondation et la gestion du Colony Club, premier cercle féminin de New York, et soutient les manifestations et grèves des ouvrières du textile. Attachée à sa liberté et refusant de se marier, Anne Morgan embarque pour la France, où elle séjourne quand elle hérite, à la mort de son père en 1913, d’une fortune colossale.

Lorsque la guerre éclate l’année suivante, elle ne fuit pas le Vieux Continent et découvre la ligne de front. Décidée à venir en aide aux populations victimes de la stratégie de la « terre brûlée » utilisée par les Allemands lors de leur repli, la jeune femme fait une rencontre décisive : Anne Murray Dike, médecin américaine. Ensemble, les deux femmes fondent, en 1917, le Comité américain pour les régions dévastées – le CARD en français -, installé dans le château de Blérancourt (Aisne). C’est là, près de la ligne de front et au cœur d’une région sinistrée par les combats, que la philanthropie de l’aristocrate se transforme en véritable aide humanitaire.

Bénévoles américaines

Pour l’aider, Anne Morgan recrute des volontaires sur le sol américain – jusqu’à 350 femmes participeront au projet. Toutes doivent parler le français, disposer d’un permis de conduire et financer leur voyage et leur équipement. Au programme pour ces bénévoles américaines : mise sur pied d’une ferme laitière, distribution de biens de première nécessité, importation de tracteurs, relance de l’agriculture, construction de baraquements pour reloger les familles sans abri…

Pour financer ses projets humanitaires et de reconstruction une fois l’Armistice signé, la jeune héritière innove en lançant des collectes de fonds. D’une part, grâce à des campagnes de communication ; d’autre part, en mettant le divertissement au service de sa cause – comme l’organisation au Madison Square Garden du match de boxe entre Benny Leonard et Richie Mitchell.

Dans la Picardie meurtrie par la guerre, son action se poursuit jusqu’en 1924. À la reconstruction, s’ajoute alors une dimension sociale et éducative. Le CARD lance un réseau d’infirmières, imagine des bibliothèques roulantes, promeut le sport auprès des enfants et organise des camps scouts pour les jeunes filles. En 1939, l’Américaine est de retour dans l’Aisne, où elle fonde cette fois le Comité américain de secours civil, avant de devoir fuir l’année suivante. Ses actions humanitaires lui valent, après sa mort en 1952, une plaque commémorative à l’Hôtel des Invalides, saluant la mémoire de cette « intrépide et généreuse amie de la France ». 

Cet article est paru dans le Télépro du 27/2/2025

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