Amsterdam, Londres et New York : comment ces trois villes ont créé notre modèle urbain actuel
Dans le documentaire «Trois villes à la conquête du monde» (ce samedi à 20h50 sur Arte), Frédéric Wilner retrace l’invention de la ville moderne, du XVIe siècle à nos jours, à travers l’évolution d’Amsterdam, de Londres et de New York. En quatre cents ans, la concurrence des trois métropoles pour dominer l’économie mondiale a suscité un nouveau modèle urbain.
Frédéric Wilner, en quoi consiste cette série documentaire ?
Il s’agit de retracer une aventure urbaine en mettant en évidence les correspondances qui se sont tissées entre trois capitales. Dans l’évolution de Paris ou Berlin, l’État a toujours été prépondérant, tandis que l’évolution d’Amsterdam, de Londres et de New York, villes libérales, a davantage été le fruit d’initiatives individuelles.
Par exemple ?
Il y a des personnages extraordinaires : par exemple Dirk van Os, ce marchand hollandais dont l’intuition a été décisive pour cofonder, en 1602, la première multinationale au monde, la Compagnie des Indes orientales, laquelle fera en partie advenir le «siècle d’or» hollandais ; Joseph Paxton, le jardinier anglais qui s’inspire des serres qu’il a construites pour concevoir, en 1851, à la faveur d’une exposition universelle, un bâtiment qui va révolutionner l’architecture, le Crystal Palace, vaste palais d’exposition en fonte et verre édifié à Hyde Park pour abriter la Great Exhibition, la première des expositions universelles. Ou l’inventeur américain Elisha Otis, qui en construisant, deux ans plus tard, un frein de sécurité capable de stopper un ascenseur en cas de rupture du câble, va permettre l’ascension verticale de New York, cette «ville debout» dont parlait Le Corbusier…
Comment parvenez-vous à transmettre tant d’information ?
Je cherche en priorité les lignes de force communes d’une ville à l’autre, l’engrenage qui a permis au changement d’advenir et de donner à ces métropoles le visage qu’on leur connaît aujourd’hui. Cela nous concerne au plus haut point, parce que c’est aussi l’histoire de la mondialisation. L’esprit d’entreprise des marchands d’Amsterdam, au tournant du XVII e siècle, enclenche une logique incroyable, celle de l’économie libérale, qui, au travers du commerce puis de la finance, va inventer le monde dans lequel nous vivons toujours.
Qu’est-ce qui vous fascine dans l’histoire urbaine ?
L’aventure humaine. Ce cycle infatigable de destruction et de renaissance, la créativité et le dynamisme, qui vont par exemple permettre aux Londoniens, après le grand incendie de 1666, de réinventer leur City. Je m’interdis tout jugement moral sur ce que je raconte, ce qui n’exclut évidemment pas de décrire la brutalité ou les aveuglements d’une époque. Ce que je trouve captivant dans l’histoire urbaine c’est justement l’expression de la société. La forme d’une ville parle de ses habitants hier, aujourd’hui et même demain. Mais j’essaie avant tout de transmettre la formidable vitalité collective à l’œuvre dans l’espace urbain. Là, je suis fasciné par ce qui naît de manière presque spontanée à Amsterdam au tournant du XVII e siècle, et qui sera, au même titre que l’économie, le moteur de la croissance de ces villes : la liberté individuelle. Et qui est une formidable source d’enrichissement ! Quand on pense qu’à l’époque de Louis XIV, un habitant d’Amsterdam est en moyenne trois fois plus fortuné qu’un Parisien, c’est vertigineux.
Entretien : Irène BERELOWITCH
Cet article est paru dans le magazine Télépro du 23/7/2020
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