Al-Andalus, un paradis à toutes les sauces
Pendant près de huit siècles (de 711 à 1492), l’Espagne a connu sur son sol de grands royaumes musulmans : Al-Andalus. Un paradis perdu aujourd’hui décrié… Ce jeudi à 21h, France 5 nous emmène à sa découverte.
Les chefs-d’œuvre de l’architecture, comme la mosquée de Cordoue et l’Alhambra de Grenade, mais aussi l’art mudéjar, les patios et autres jardins luxuriants ne sont que des exemples de l’héritage pluriculturel d’Al-Andalus. Un passé glorieux que l’on doit en partie au calife Abd al-Rahman III.
Ce conquérant du Xe siècle voulut restaurer, en Espagne, la puissance de ses ancêtres omeyyades qui régnaient en Syrie quelques siècles plus tôt. «La Cité perdue d’Al-Andalus», documentaire diffusé sur France 5 jeudi à 21h, retrace la folle ambition musulmane… et ses dérives.
Invasion arabe
Au VIIIe siècle, l’Espagne wisigothique, ancienne province romaine, attise les convoitises… Dès 711, sous la conduite du général omeyyade Tariq ibn Ziyad, 7.000 Berbères franchissent le détroit de Gibraltar (en arabe «djebel al-Tariq», la montagne de Tariq) pour conquérir la péninsule ibérique.
Très vite, ils s’emparent de Tolède, puis Séville, Écija et enfin Cordoue, qui devient la capitale en 756. L’Espagne est musulmane. Deux siècles plus tard, la péninsule islamisée connaît son âge d’or.
Mythe
Mais cette cohabitation, d’apparence pacifique, entre cultures arabo-musulmanes, chrétiennes et juives est aujourd’hui remise en question par les historiens. C’est le cas de Serafin Fanjul (1), professeur à l’université de Madrid, qui la qualifie de «mythe». Il rappelle que «ce paradis perdu du « vivre ensemble » fut marqué par des affrontements, une grande intolérance entre religions et des temps de persécutions».
Cependant, pour limiter les bains de sang, l’envahisseur use du dilemme «se convertir ou fuir». En cas de refus, les populations insoumises ont l’obligeance de s’acquitter d’une taxe, selon le principe de la «dhimma», ou pacte de protection, qui «leur permet de pratiquer leur religion tant qu’elles acceptent leur infériorité juridique vis-à-vis des musulmans», explique l’historienne Isabelle Bernier. Pour les autres, c’est l’exil.
Ainsi, «un certain nombre de juifs trouvent refuge au Maroc», constate l’universitaire français Joseph Pérez (2). Et de poursuivre : «Quant aux chrétiens, les seuls qui s’y trouvaient encore dans les années 1480-1492 étaient des prisonniers, enfermés dans des geôles. Les soldats de la Reconquête les ont libérés et ont accroché leurs chaînes aux murs du monastère de Saint-Jean-des-Rois, à Tolède. Il en reste encore quelques-unes aujourd’hui.»
Héritages
Dès l’An Mil, le califat commence à vaciller. En cause ? Les tensions entre émirats arabes eux-mêmes. Un contexte favorable à la Reconquista chrétienne dont les exploits guerriers du Cid (de «sayyid» signifiant «seigneur») s’emparant de Valence en 1094 sont entrés dans la légende. Seul le royaume de Grenade résiste encore jusqu’en 1492, avant de tomber aux mains des rois catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon.
«L’Hispanie, devenue Al-Andalus, aura donné naissance à une culture faite d’héritages croisés entre mondes arabe, latin, juif et grec», conclut Isabelle Bernier. «Une grande partie des transferts de savoirs s’est effectuée grâce à la traduction de l’arabe.» C’est notamment au contact des érudits andalous que le moine Gerbert d’Aurillac a découvert la numérotation arabe. Ces échanges, certes contrastés, furent déterminants pour toute la civilisation occidentale.
Étymologie
Al-Andalus désigne l’ensemble des territoires de la péninsule ibérique et certains du sud de la France sous domination musulmane entre 711 (premier débarquement) et 1492 (prise de Grenade). Le terme serait probablement dérivé du peuple «vandale» qui occupa le sud de l’Espagne de 407 à 429 et l’aurait dénommé «Vandalusia». L’Andalousie actuelle, qui en tire son nom, ne constitua longtemps qu’une petite partie de la cité musulmane.
À lire
(1) Serafín Fanjul, «Al-Andalus, l’invention d’un mythe. La réalité historique de l’Espagne des trois cultures», 732 pages, 28 € (L’artilleur), 2017.
(2) Joseph Pérez, «Andalousie – Vérités et légendes», 180 pages, 8,50 € (Tallendier), 2018.
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