À fond le sport pour les Émirats !

Le circuit d’Abu Dhabi, construit sur une île artificielle, draine cinq fois plus d’invités VIP que les autres Grand Prix de F1 © Getty Images

Formule 1, foot, cyclisme, golf : les États les plus fortunés du Golfe investissent à qui mieux mieux dans toutes les disciplines sportives.

Le monde uni par le sport, l’art et la culture» : sur sa page d’accueil consacrée au parrainage, la compagnie aérienne dubaïote Emirates annonce la couleur. Depuis son premier sponsoring (une course de bateau en 1987 à Dubaï), l’entreprise n’a cessé d’augmenter sa visibilité dans le secteur sportif. En tête de gondole : le football. Son logo barre les maillots d’équipes aussi célèbres que le Real Madrid, le Milan AC ou Arsenal (dont le stade a été rebaptisé Emirates stadium). Sur le circuit ATP de tennis ? Présente. Le cyclisme ? Toujours présente (l’équipe UAE de Pogacar). Emirates n’est pas seule à jouer cette carte. Comme l’écrivait le journal La Croix, c’est un peu comme si tous les chemins du sport (et pas que du sport) passaient par les Émirats depuis quelques années.

Les origines

Pour mieux comprendre le phénomène, retour quelques années en arrière. Au milieu du XIXe siècle, les puissances européennes tentent d’augmenter leur influence dans la région et de prendre le contrôle des routes commerciales qui y passent. La région, c’est la partie du Moyen-Orient située entre le golfe Persique et le golfe d’Oman, une zone d’une importance géostratégique capitale. Le Royaume-Uni signe un traité avec plusieurs émirats pour se protéger de la piraterie en échange d’une protection militaire terrestre et maritime. Ces émirats portent alors le nom commun d’États de la Trêve.

Indépendance et pétrole

Un peu plus d’un siècle passe. En 1968, les Britanniques se retirent. Trois ans plus tard, six des anciens Émirats de la Trêve proclament leur indépendance et forment une Fédération : les Émirats arabes unis. Abu Dhabi, Adjman, Chardja, Dubaï, Fudjayra, et Umm al-Qaywayn sont rejoints en 1972 par Ras el Khaïmah. Grand comme le Benelux, peuplé d’un peu moins de 10 millions d’habitants, cet État d’Asie occidentale est très riche en pétrole. Abu Dhabi (la capitale actuelle de la Fédération) a commencé à l’exploiter en 1962, Dubaï en 1969. Comme les émirats de la Fédération restent autonomes pour leurs affaires intérieures, chacun va aussi devoir envisager la meilleure manière de se développer et de se diversifier. Abu Dhabi et Dubaï vont mettre le paquet sur le sport.

Île artificielle pour la F1

Après le «cas Emirates», cap cette fois sur la page «Partenariat» de Etihad, la compagnie aérienne d’Abu Dhabi. «Avec l’aide de nos partenaires de confiance, nous sommes en mesure d’offrir à nos clients des expériences passionnantes et uniques à travers le monde». Cette fois, les partenaires s’appellent : Manchester City côté foot (racheté par un fonds souverain d’Abu Dhabi en 2008), le championnat de golf HSBC, mais aussi le Grand Prix de Formule 1 Etihad Airways d’Abu Dhabi depuis 2009. Pour celui-ci, l’Émirat a fait construire une île artificielle afin d’y installer le circuit. Coût de l’opération : 25 milliards d’euros !

Image de marque

Outre le fait qu’elles permettent aux deux compagnies aériennes de se distinguer de leurs concurrentes, l’objectif de toutes ces opérations est de vendre l’image de la Fédération. Avec des spécificités. Selon les spécialistes, Dubaï s’est lancé en premier dans la course car il disposait de moins de ressources pétrolières. Ses vues sont essentiellement touristiques. D’autre part, avec sa fiscalité attrayante et son port franc (non soumis au service des douanes), l’Émirat dubaïote attire de nombreux expatriés (90 % de sa population). En sponsorisant équipes et événements, c’est aussi une manière de plaire à la clientèle. De son côté, Abu Dhabi aurait davantage une vue géostratégique. Inviter à découvrir l’événement de la F1 participe à faire connaître le pays et à y investir (il y a cinq fois plus de VIP à Abu Dhabi que sur n’importe quel autre Grand Prix).

Géostratégie

«Le sport est devenu un élément essentiel du rayonnement d’un État. Au-delà des émotions, du plaisir, des joies et des espoirs, c’est aussi de la géopolitique», écrit Pascal Boniface, fondateur de l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS). Par exemple, la Coupe d’Afrique des nations, en 2019, n’a-t-elle pas permis un rapprochement entre plusieurs pays du Golfe (dont l’EAU) et le Qatar, frappé par un blocus ?

Droits fondamentaux bafoués

En dépit de ces considérations, nombreuses sont toutefois les ONG qui dénoncent ces investissements pharaoniques. Elles estiment que le bruit des moteurs et les cris des supporters servent avant tout à couvrir le non-respect des droits de l’homme et les mauvais traitements réservés aux femmes et aux émigrés dans les États devenus providence pour le sport occidental.

Cet article est paru dans le Télépro du 4/08/2022.

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