30 juin 1960 : le roi noir et le jeune homme blanc

Le roi Baudouin et Joseph Kasa-Vubu dans la berline qui les mène vers la proclamation d'indépendance du Congo © Getty

Il y a soixante ans, le Congo se détachait du giron belge. Ce samedi à 21h05 sur La Trois, «Kongo» retrace son histoire, en archives et en animation, depuis le XVIe siècle jusqu’à l’ère Kabila. Télépro s’est arrêté à la proclamation de son indépendance.

Léopoldville, 30 juin 1960. Dans les rues de la capitale congolaise, une somptueuse limousine se fraie péniblement un passage dans la foule. Des milliers de personnes se sont agglutinées pour apercevoir les deux personnages qu’elle transporte. Dans quelques minutes, ils prononceront les discours qui marqueront l’histoire de leurs nations respectives.

Après 80 ans d’existence, le Congo belge aura vécu. En ce mercredi après-midi ensoleillé, la République démocratique du Congo verra le jour. Mais pour l’instant, fendant les haies humaines qui se dressent devant elle, il y a cette voiture et deux hommes à son bord.

Le roi Kasa

Debout sur la banquette arrière, ils gratifient tous deux la foule de larges signes de la main. Le premier est placé juste derrière le chauffeur. Chemise blanche, costume et cravate noirs, lunettes : le premier est de petite taille. Mais c’est un grand homme politique. À 43 ans, Joseph Kasa-Vubu n’est pourtant pas dans le «métier» depuis longtemps.

Ancien séminariste, instituteur puis comptable, ce père de sept enfants monte à la capitale pour y être engagé au service des finances du gouvernement général en 1942. Plutôt timide et s’exprimant avec difficulté, il décide malgré tout de se lancer en politique. En 1955, il est élu maire de Dendale, dans les faubourgs de la métropole. C’est la métamorphose.

«Trois ans plus tard, dans un discours fracassant qui surprend les autorités de Léopoldville, il dénonce la politique coloniale belge et revendique la liberté immédiate de presse et d’association, des élections générales, l’autonomie interne pour le Congo !», écrit Philippe Decraene dans les colonnes du Monde diplomatique de mars 1960.

Arrestation

Nouveau tournant en janvier 1959. La population de Léopoldville se soulève. Le bilan humain est très lourd : entre 200 et 500 tués. Kasa-Vubu est arrêté. À sa libération, il reprend de plus belle son combat pour l’indépendance. Et le voilà ici. En ce jour de juin 1960, la voiture d’où il salue la population le conduit vers son destin : son pays sera bientôt indépendant et lui, Joseph Kasa-Vubu, sera élu premier président de la République du Congo par le premier Parlement congolais. La foule scande : «Vive le roi ! Vive le roi !» et c’est bien à lui que s’adresse ces cris «le roi Kasa». Pas à l’autre passager, comme l’imaginent à ce moment les Belges qui sont sur place.

Bwana Kitoko

Le second passager est grand, sanglé dans un uniforme aussi impeccable qu’immaculé. Droit comme un «i», il adresse un salut au drapeau belge que porte un militaire en position au bord de la route empruntée par le cortège. Il n’a pas 30 ans et le roi Baudouin s’apprête pourtant à poser un acte historique pour la Belgique : mettre fin à l’ère coloniale.

Les yeux dissimulés derrière sa paire de lunettes solaires, il voit peut-être défiler dans sa mémoire les souvenirs de son premier séjour au Congo. En mai 1955 aussi, les habitants étaient dans la rue pour acclamer le cortège. Mais c’était lui qu’on venait voir, et célébrer, lui dont on scandait le nom «Bwana kitoko», «le nouveau seigneur» ou «le beau jeune homme» selon les traductions de cette expression en lingala.

Discours du Roi

Cinq longues années se sont écoulées depuis ce voyage triomphal de 10.000 kilomètres dans le pays. Baudouin évoque dans un discours son intention de «conduire les populations congolaises vers l’indépendance», mais c’est à une «émancipation progressive» sur trente ans qu’il pense.

Et ici, maintenant, il s’apprête à prononcer cet engagement solennel : «Nous reconnaissons avec joie et émotion que le Congo accède, ce 30 juin 1960, en plein accord et amitié avec la Belgique, à l’indépendance et à la souveraineté internationale».

Le sabre et le roi

La limousine poursuit son chemin, les deux hommes, côte à côte, la saluent. Alors que l’histoire s’écrit à pas d’homme dans ce bel après-midi, un symbole s’invite. Un homme surgit, s’approche de la voiture officielle et s’empare du sabre de cérémonie du roi Baudouin avant de s’éloigner en courant. Un photographe immortalise la scène. Plus qu’un cliché, une métaphore : c’est la fin du colonialisme belge en Afrique.

Cet article est paru dans le magazine Télépro du 11/6/2020

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