1956, année dramatique

© Flach Film Production
Stéphanie Breuer Journaliste

Entre la crise de Suez et la révolution hongroise, le monde est à nouveau prêt à s’embraser, onze ans à peine après la Seconde Guerre mondiale.

On dit souvent que l’Histoire permet d’éclairer et de comprendre le présent. Un adage qui se vérifie particulièrement lorsque l’on se penche sur 1956, une année charnière qui, comme le montre «Retour aux sources» (samedi soir sur La Trois), a rebattu toutes les cartes de la géopolitique mondiale pour des
décennies.

Onze ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la guerre froide bat son plein. Alors que de nombreux peuples cherchent à s’émanciper, Américains et Soviétiques tentent d’étendre leur zone d’influence respective. L’année 1956 débute avec un événement inédit. Le 25 février, Nikita Khrouchtchev, nouveau maître du Kremlin après la mort de Joseph Staline trois ans plus tôt, dénonce, dans un rapport secret, les crimes de son prédécesseur, son culte de la personnalité, ses innombrables erreurs dans la guerre… Soucieux de la survie de l’URSS, il entend distinguer communisme et stalinisme.

Répression sanglante

Cette prise de position se diffuse dans les pays satellites de Moscou et provoque une onde de choc. Des révoltes ouvrières éclatent d’abord à Poznań, en Pologne. Ensuite en Hongrie. La population – étudiante, dans un premier temps – se soulève contre la domination soviétique. Le 23 octobre, des coups de feu éclatent à Budapest entre les manifestants et la police politique. C’est le début de la révolution hongroise. Craignant que la situation ne fasse tache d’huile dans les pays voisins, Moscou opte pour une solution offensive et envoie des chars dans la capitale. La révolution est réprimée dans le sang.

Au même moment, tous les regards se tournent vers l’Égypte. Là aussi, une crise couve depuis plusieurs mois. Pays non aligné, l’Égypte joue sur deux tableaux, oscillant encore entre l’Est et l’Ouest. Finalement, cherchant à asseoir son statut de leader du monde arabe, Gamal Abdel Nasser décide, en juillet, de financer son projet de barrage à Assouan en nationalisant la Compagnie internationale du canal de Suez.
La nouvelle fait l’effet d’une bombe, surtout en France et au Royaume-Uni, pour qui le canal, dont ils sont actionnaires, est une voie maritime stratégique.

Opération «Mousquetaire»

Fin octobre, Paris et Londres, qui refusent d’accepter le coup de force de Nasser, mettent au point, avec Israël qui se voit interdit d’emprunter le canal, l’opération militaire «Mousquetaire». Après une première attaque terrestre d’Israël et des bombardements, la coalition franco-anglaise débarque à Port-Saïd et Port-Fouad. Mais, le 6 novembre, sous la pression de Washington et de Moscou (qui brandit la menace nucléaire), un cessez-le-feu entre en vigueur, permettant à Nasser de triompher face aux deux puissances de la Vieille Europe.

Les deux crises, indépendantes l’une de l’autre, s’achèvent en même temps. «Budapest pleure des larmes de sang, tandis que le rire tonitruant de Gamal Abdel Nasser résonne au Caire», résume Roger Martelli dans «Le Rire de Nasser, les larmes de Budapest» (Le Monde diplomatique). Les conséquences de cette fin d’année mouvementée sont nombreuses. Pour la France et l’Angleterre, la crise de Suez est un immense fiasco. Les deux pays perdent toute influence dans la région stratégique du Moyen-Orient, au détriment des États-Unis, où Dwight Eisenhower est réélu, et de l’URSS, qui montre que l’Europe de l’Est reste sous domination soviétique. Une situation qui pousse la France, pour exister sur la scène internationale, à suivre le conseil alors donné par le chancelier allemand Konrad Adenauer : «Et maintenant faisons l’Europe» ! Quelques mois plus tard, en mars 1957, c’est le début du Marché commun,
première étape de la future Union européenne…

Cet article est paru dans le Télépro du 2 mai 2024.

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