1944, le temps de la vengeance
On a tous en mémoire les images joyeuses de la Libération. Mais au même moment, certains résistants se livraient à la barbarie.
10 septembre 1944. Des corps flottent sur la Seine. Des hommes, des femmes, de très jeunes gens… Tous ont été tués d’une balle dans la nuque, les mains attachées par du fil électrique. Qui sont-ils ?
Samedi à 21h sur La Trois, «Retour aux sources» revient sur cet épisode longtemps étouffé de l’histoire de France avec «Règlements de comptes à l’Institut», un excellent documentaire aux allures de thriller en noir et blanc.
Paris martyrisé
«Paris outragé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré !» On se souvient du discours du général de Gaulle entrant dans Paris, le 25 août 1944. Mais pendant que le général évoque «la seule France, la vraie France, la France éternelle», c’est une autre histoire qui se joue en coulisses. Nettement moins glorieuse…
Certains résistants décident de s’occuper des traîtres. Ils arrêtent tous ceux qu’ils considèrent comme des collabos. Des anciens de la Milice, mais aussi des commerçants qui semblent s’être enrichis, des femmes soupçonnées d’avoir eu une relation avec un Allemand, des gens désignés par la rumeur ou dénoncés par leurs voisins…
À tort ou à raison. Ils sont arrêtés, traînés devant un pseudo-tribunal et exécutés. Les corps repêchés dans la Seine mènent tous à une même adresse : l’Institut dentaire. Et à un même homme : le capitaine Bernard.
Un pseudo-tribunal
Capitaine Bernard, c’est le surnom de René Sentuc. Avant-guerre, l’homme était chauffeur de taxi et élu communiste. Il a ensuite rejoint les FTP (francs-tireurs et partisans), le mouvement de résistance fondé par le Parti communiste français en 1942.
À la Libération, au nom des FTP et de son leader charismatique, le colonel Fabien, Sentuc prend possession de l’Institut dentaire pour y installer son pseudo-tribunal. L’heure est à la vengeance !
De Gaulle a rapidement connaissance de ces faits, qu’il ne peut tolérer. Dès la fin août, les résistants sont tenus de remettre à la police et à la justice toute personne qu’ils auraient arrêtée. Mais Sentuc n’a aucune envie de libérer ses prisonniers. D’autant que certains sont salement amochés…
Guerre froide
En trois semaines, 250 personnes ont été détenues à l’Institut dentaire. 42 ont été assassinées de manière certaine, mais toutes ont probablement fini dans la Seine. En France, c’est dix à douze mille personnes qui ont ainsi été exécutées lors de cette épuration extrajudiciaire. C’est pourtant une histoire dont on parle peu.
Pourquoi ? Bon nombre de résistants étaient communistes. Or, de Gaulle ne pouvait pas se mettre les communistes à dos. Il faudra donc attendre le début de la guerre froide pour que les enquêtes sur les exactions commises à la Libération puissent être relancées.
René Sentuc n’est arrêté qu’en 1952 et il ne sera jamais jugé car une loi d’amnistie est votée en 1953. Il reprendra donc tranquillement son job et occupera son poste de conseiller municipal communiste jusqu’en 1971.
Révéler le passé
C’est l’historien Jean-Marc Berlière qui a tiré toute cette histoire au grand jour. Il la raconte avec savoir et empathie dans le documentaire de La Trois. «Quand j’ai commencé à travailler sur ce sujet, les dossiers étaient tamponnés «loi d’amnistie». On était passible de poursuites si on révélait quoi que ce soit ! C’est gravissime qu’un pays oublie ainsi une partie de son passé. Le passé n’est pas forcément glorieux. Il faut avoir le courage de regarder les choses en face.»
Cet article est paru dans le Télépro du 16/12/2021
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