«120 journées» bien mouvementées !
La vie et les écrits du Marquis de Sade (1740-1814) ont tant marqué les esprits qu’en 1834, le néologisme «sadisme» a été forgé pour désigner la cruauté associée au sexe.
Vendredi à 20.55, France 5 vous révèle «Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Sade» à l’occasion de l’entrée du manuscrit des «120 journées de Sodome» dans les collections de la Bibliothèque nationale de France, après bien des pérégrinations. Retour sur cette épopée.
Mots libérateurs
Une nuit d’octobre 1785, Donatien Alphonse François de Sade couche sur papier les premières phrases de son œuvre majeure, «Les 120 journées de Sodome», dans sa cellule de la Bastille. L’expérience carcérale n’est pas nouvelle. Violences et tentatives d’empoisonnements sur des prostituées, pratiques blasphématoires, sodomie… Le libertin, au cœur de tous les scandales, passera vingt-sept ans en prison.
Mais cette fois, faute de pouvoir s’évader et de satisfaire ses fantasmes, il se libère par les mots. Et pas n’importe lesquels. Ses «120 journées» décrivent les sévices, pour la plupart insoutenables, que font subir quatre aristocrates aux quarante-deux victimes avec lesquelles ils se sont enfermés dans un château.
Craignant la confiscation de son manuscrit, le Divin Marquis recopie son histoire, d’une écriture minuscule, sur un rouleau recto verso de 12 mètres de longueur pour 11,3 cm de largeur qu’il dissimule entre les pierres de sa cellule.
Manuscrit perdu
Sade est loin d’être un prisonnier modèle. «On égorge les prisonniers !», hurle-t-il depuis sa fenêtre en juillet 1789, alors que la Révolution agite Paris. Pour éviter tout débordement, le Marquis est transféré. Mais le 14, la Bastille tombe sous les assauts des émeutiers. Sade est atterré et verse «des larmes de sang» selon ses mots, persuadé que son chef d’œuvre, inachevé, est parti en fumée.
En réalité, l’incroyable périple de celui-ci ne fait que commencer. Lors de la prise de la forteresse, un révolutionnaire, Arnoux de Saint-Maximin, met la main sur l’obscène écrit et le revend au marquis de Villeneuve-Trans. Le manuscrit passe de génération en génération, jusqu’à être vendu à un Berlinois, Iwan Bloch, inventeur de la sexologie.
Le psychiatre édite le texte en 1904, mais sa version est truffée d’erreurs. En 1929, l’écrivain Maurice Heine achète le rouleau pour le compte de Charles et Marie-Laure de Noailles, descendante de Sade. De 1931 à 1935, il publie une nouvelle version, encore considérée comme celle de référence.
Vendu ou volé ?
Après avoir hérité du texte, la fille des de Noailles le prête à Jean Grouet, un ami éditeur. Au moment de récupérer le trésor familial, l’écrin lui revient vide ! Grouet a vendu «Les 120 journées» à un collectionneur d’œuvres érotiques suisse, Gérard Nordmann, pour 300.000 francs.
Après quinze ans de lutte, la justice tranche. Ou pas. Pour la Cour de cassation française, l’œuvre a été dérobée et doit être rendue. Pour le tribunal helvète, elle a été achetée de bonne foi et reste en Suisse.
En 2014, «Les 120 journées» est acheté 7 millions d’euros par Aristophil, une société française proposant à des particuliers d’investir dans des manuscrits historiques. Mais l’entreprise est visée par une enquête pour escroquerie. En 2017, le gouvernement profite de sa liquidation pour classer le texte «Trésor national», empêchant son exportation.
Un appel au mécénat est lancé. Le 9 juillet 2021, les 4,55 millions d’euros nécessaires sont enfin apportés par Emmanuel Boussard, un ancien banquier d’affaires, désireux d’honorer son grand-père, conservateur entre 1943 et 1964 de la bibliothèque de l’Arsenal, qui accueillera le rouleau, mettant fin à son long périple.
Cet article est paru dans le Télépro du 7/10/2021
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