Yasmine Boudaka (NEW6S) : «Ce n’est pas si facile que ça d’être « constructif »»

Yasmine Boudaka, coordinatrice de l'association NEW6S © D.R.
Pierre Bertinchamps
Pierre Bertinchamps Journaliste

De «l’info constructive», c’est quoi exactement ? Tentative de réponses avec la coordinatrice de l’association NEW6S, les acteurs de l’info constructive.

Toute cette semaine, un logo apparaît sur l’écran de télévision lors de sujets et reportages dans le cadre de la Semaine de l’Info constructive. Les médias participants s’engagent à proposer des sujets plus nuancés, équilibrés ou critiques. Le but est de mobiliser un maximum de rédactions francophones belges autour de la démarche constructive. Bref, parler du monde autrement.

Ancienne voix de La 1ère (RTBF), Yasmine Boudaka est aujourd’hui coordinatrice de NEW6S. «C’est une association qui a été créée en 2018 par des journalistes et des communicants qui voulaient sortir du climat anxiogène ambiant.», explique la journaliste. «Il y a un monde qui dysfonctionne, et nous en sommes conscients mais qu’est-ce qu’on peut faire, avec nos outils et nos moyens, pour faire évoluer les choses avec l’envie de ne rien imposer mais d’amener à réfléchir».

Qu’est que de l’«information constructive» ?

C’est une information qui englobe pas mal de choses en même temps. On parlera d’ailleurs plus de journalisme constructif et de démarche constructive. C’est d’abord être conscient en tant que journaliste de la responsabilité que l’on porte dans la manière de raconter le monde. Il ne faut pas oublier que c’est par le prisme des médias que la société se représente dans le monde qui nous entoure. Il faut parler des choses qui dysfonctionnent, mais aussi des choses qui fonctionnent dans la société. Et ce n’est pas uniquement «la bonne nouvelle du jour» mais le résultat de certaines enquêtes qui apportent des mesures qui seraient positives. On prend la globalité des choses. C’est aussi aller chercher des perspectives et des solutions qui existent déjà. En parler, les analyser et les traiter de la même manière que les autres infos. Enfin, il y a le ton utilisé, les mots, les illustrations… Quand on parle de terreur, est-on vraiment dans la terreur ? Je dirais que c’est un questionnement sur sa manière de traiter l’information afin d’éviter de tomber dans des réflexes du métier que l’on a tous. Ce n’est pas un autre journalisme, mais du journalisme qui enrichit les choses, et qu’on n’a pas l’habitude de prôner dans ses réflexes professionnels.

C’est finalement ce qu’on nous apprend à l’école de journalisme…

Oui. Il y a toutes ces grandes phrases qu’on nous a dit aussi comme «Good news, no news» ou «Tremper sa plume dans la plaie» (Albert Londres)… Il y a des réflexes qui anglent la manière de relater l’information. On nous apprend à avoir une déontologie ou des codes pour traiter un sujet, mais on est biaisé malgré tout. Il faut en prendre conscience, et peut-être changer ses réflexes. Dans une information concernant un sondage sur la pollution des villes, pourquoi reprendre les trois dernières de la liste pour montrer ce qui n’est pas bien ? Ce serait peut-être plus intéressant de faire un sujet sur le top 3, et expliquer pourquoi ce sont les 3 villes les moins polluantes. Ça reste de l’information, mais tournée d’une autre manière.

En faire (juste) une semaine tous les ans, ce n’est pas le risque d’en faire un marronnier de la presse ?

Si, exactement, et l’association est très attentive à ça. On se pose la question de savoir si tous les médias qui utilisent ce logo le font correctement. Il y a une espèce d’engagement aussi derrière. Honnêtement, ce n’est pas toujours le cas. L’idée n’est pas d’en faire un marronnier mais de faire changer les pratiques. NEW6S est une association indépendante qui n’a rien à vendre. Ce qu’on veut, c’est insuffler la réflexion. Cette année, on a réfléchi avec les médias autour de cet événement. L’idée est qu’il y ait en effet une semaine de visibilité destinée au public pour montrer qu’il y a des choses qui bougent. Il y a une confiance entre les médias et le public qui est erronée et où il faut recréer du lien. Toute l’année, on travaille avec ces médias. On va faire des informations et des formations dans les rédactions. Ce n’est pas forcément assez, et tout n’est pas forcément perfectible. On aimerait toucher les médias qui se voudraient constructifs mais ne le sont pas forcément.

L’association a 3 ans, sentez-vous que les habitudes changent ?

Ce sera une tâche de longue haleine. Franchement, il y a des réflexions qui sont posées, que ce soit au sein des rédactions ou de la part des journalistes individuellement. Au départ, on nous taxait de «Bisounours», et maintenant, on vient frapper à notre porte en demandant conseil. Nous ne voulons pas être moralisateurs, on écoute beaucoup. Ce n’est pas si facile que ça d’être «constructif» et ça prend du temps. Il faut pas mal s’interroger, aller chercher des perspectives, des solutions, et les analyser. Et ce temps-là, les rédactions ne l’ont pas forcément. Mais je remarque qu’il y a de plus en plus de rédactions qui sont dans la recherche de faire autrement. Ce sera lent et long…

Qui est le plus difficile à convaincre : le journaliste ou le rédacteur en chef ?

Parfois les deux… Et pas tout le temps de la même manière. Il y a des journalistes qui sont convaincus et qui doivent convaincre leur rédac’ chef. Et parfois, c’est l’inverse. Les gens ne comprennent pas qu’on ne fait pas QUE du constructif, on fait AUSSI du constructif. L’idée n’est pas de devenir des Bisounours, sinon le métier va perdre sa saveur quand il va creuser, éclairer ou porter son attention sur des choses qui dysfonctionnent. Ce n’est pas l’un ou l’autre, mais l’un et l’autre. C’est là que la prise de conscience est plus compliquée.

Vous parlez de reconnecter le public et les médias. Vous croyez que c’est possible, surtout dans la période que nous vivons avec le covid-19 ?

On a fait une rencontre avec François Jost qui a écrit «Médias : sortir de la haine ?» (CNRS Editions). Selon lui, cette crise de confiance est cyclique. Elle a toujours existé dans l’histoire. La différence, c’est qu’avec les réseaux sociaux et la numérisation, les gens n’ont jamais eu autant d’accès à de l’information et à la parole. Je ne sais pas si ce sera possible de renouer cette confiance mais on se doit d’essayer. C’est essentiel. Et tous les acteurs doivent y mettre du leur, tant les médias que les citoyens/consommateurs. Il faut une éducation aux médias.

Il y a des médias qui proposent plus d’informations constructives que d’autres ?

Une des fondatrices de NEW6S est Leslie Rijmenams de Nostalgie. C’est dans son ADN… On sent dans les infos de Radio Nostalgie qu’il y a un vrai travail. À l’époque, Marc Vossen réécoutait les flashes et demandait à son équipe pourquoi avoir utilisé tel ou tel mot. Il y avait une réelle conscientisation sur la manière d’informer, même dans des bulletins très courts. Le choix des mots, des sujets,… Tout ça, c’est constructif. Et ce n’est pas que de l’actualité positive. C’est réfléchi, pensé et assumé complètement.

Le public en est conscient ?

C’est la grande question qu’on se pose et qu’on essaie de mesurer avec la Semaine de l’info constructive. C’est très difficile de mettre en place des critères d’impact à la fois dans les médias et dans la population. On travaille avec l’ULB pour essayer d’initier certaines choses. Ce que je constate depuis 3 ans, c’est que le public confond bonne nouvelle, info positive, info constructive, solution. Pour lui, c’est un melting-pot… Est-ce important qu’il en soit conscient ? Je ne sais pas; l’important, c’est qu’il en soit informé. Il y a des nuances à apporter. Mais lui montrer que pour certains sujets, une importance particulière a été apportée, c’est une manière de conscientiser le public à bien s’informer.

Selon vous, on est mal informé en Belgique ?

Ce n’est pas pire, ni moins pire qu’ailleurs. Ce qui est intéressant chez nous, et c’est une médaille à double face, c’est que c’est un petit microcosme qui permet de fédérer les médias comme on l’a fait à la première édition. Les Français, les Danois, les Allemands nous regardent avec envie pour ça. On n’a pas trop à se plaindre…

Vous avez un pendant flamand ?

Pas à ma connaissance. C’est une piste que l’on creuse. On a eu des contacts mais on n’a pas encore réussi à développer. C’est un de nos objectifs également.  

Il y a une finalité à NEW6S ?

J’espère sincèrement que dans quelques années, on n’existera plus. Et qu’il y aura des choses, même si elles ne sont pas parfaites, qui seront devenus des automatismes.

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