Voyages sans retour

À Malines, la Caserne Dossin, ancien camp de transit allemand d’où partirent 25.274 Juifs et 352 Roms vers les camps, est aujourd’hui un musée et un centre de documentation sur l’Holocauste © Isopix

Ouverture d’une enquête sur le rôle de la SNCB dans la déportation de Juifs et de Tziganes durant la Seconde Guerre mondiale. Ce mercredi à 23h50, France 2 s’interroge sur «La SNCF sous l’Occupation».

C’est un classique du cinéma. Dans «Le Train», qu’il tourne en 1964, le réalisateur John Frankenheimer raconte l’histoire d’un cheminot français résistant.

1944, la Seconde Guerre mondiale touche à sa fin. Dans le train qu’il conduit, Paul Labiche, interprété par Burt Lancaster, est contraint d’emmener vers l’Allemagne des œuvres d’art volées par les nazis. Avec l’aide d’autres maquisards, il met tout en œuvre pour que le convoi n’arrive jamais à destination, quitte à le faire dérailler.

Bien avant cela, en 1946, un autre film, «La Bataille du rail», de René Clément, apportait déjà sa brique à l’édifice. Il contribuait à graver dans les mémoires le comportement héroïque de cheminots multipliant les sabotages et les actions clandestines.

Lorsqu’en janvier dernier, on apprend qu’à la demande du Sénat, une enquête approfondie va être menée sur le rôle de la SNCB dans le transport des déportés durant la Seconde Guerre mondiale, cela écorne un peu la belle photo. «Une contribution au devoir de mémoire», insistent la présidente du Sénat, Stephanie D’Hose, et le ministre de la Mobilité Georges Gilkinet. Une mémoire qui ne doit pas être courte. Machine arrière sur la ligne du temps.

La Grande Guerre

Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, le réseau ferroviaire belge est l’un des plus développé au monde. Son importance est stratégique, le transport par camion ou en voiture n’étant pas encore très développé. Pour tenter de bloquer ou retarder l’envahisseur, l’armée procède à des destructions de ponts et de tunnels. Sur la ligne 38, proche de la frontière, le tunnel de Hombourg est dynamité. Ailleurs, on fait dérailler des trains pour empêcher le trafic.

Une fois les Allemands aux commandes, la résistance des cheminots s’organise. À côté des sabotages, de véritables réseaux se mettent en place. Aux passages à niveau, les gardes-barrières comptent le nombre de wagons des convois qui amènent des troupes et des munitions ou rapatrient les blessés. Leurs femmes ou leurs enfants transmettent ensuite ces informations aux Anglais via les Pays-Bas. Des familles entières sont fusillées pour ces actes de patriotisme.

Le train fantôme

Les cheminots, on les retrouve à nouveau dans le camp des résistants lors de la Seconde Guerre mondiale. L’occupant nazi prend le contrôle de la SNCB (créée en 1926) et la réduit au rôle d’exécutant. «Une situation inadmissible pour les cheminots», note le magazine Le Rail en 1994 : durant les six premiers mois de 1943, 290 attaques et sabotages de voies sont répertoriés. Et le 2 septembre 1944, ils parviennent à empêcher un train de prisonniers d’arriver en Allemagne, un épisode que l’Histoire retient sous le nom de «train fantôme». Pendant l’Occupation, les autorités lancent 5.500 dossiers pour des actes d’incivisme contre des cheminots.

Si le personnel de la SNCB est resté sur la bonne voie, la direction de la SNCB a-t-elle pris le mauvais aiguillage à certains moments ? C’est la question à laquelle le Centre d’Étude guerre et société (CegeSoma, le centre belge d’expertise sur l’histoire des conflits du XXe siècle) va devoir répondre à la demande du Sénat.

Depuis Malines

Entre le 4 août 1942 et le 31 juillet 1944, 28 trains sont partis de Malines vers le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz. De véritables convois de la mort pour 25.274 Juifs et 352 Tziganes : à peine un peu plus d’un millier d’entre eux ont survécu. La France et les Pays-Bas ont déjà mené ce type d’enquête.

Outre un travail indispensable pour le devoir de mémoire, elles ont aussi abouti à une indemnisation des proches des victimes. Pour trouver ses réponses aux questions posées aussi longtemps après les faits, la CegeSoma va devoir se plonger dans le passé, notamment les 80 mètres d’archives de la SNCB qui ont été transmises en 2016 aux Archives générales du Royaume.

Cet article est paru dans le Télépro du 17/3/2022

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