Valéry Lerouge, correspondant de France 2 à Bruxelles : «On est très surveillé par les Belges !»

Valéry Lerouge, correspondant de France 2 à Bruxelles, retourne à Paris. © DR
Pierre Bertinchamps
Pierre Bertinchamps Journaliste

Le correspondant permanent de France 2 quitte Bruxelles après cinq années à tenter d’expliquer la Belgique aux Français.

Après cinq années dans notre capitale, Valéry Lerouge, journaliste de France 2 depuis 2007, biberonné à France Inter et France Info (uniquement la radio à l’époque) retourne à Paris rejoindre la rédaction de France 2. «Pour des raisons administratives, c’est un mandat de 2 ans, renouvelable une à deux reprises, et j’ai demandé pour restez chez vous une année de plus, à titre exceptionnel», sourit le correspondant. «J’ai eu ce cadeau en bonus, mais la direction de France 2 m’a fait comprendre que je devrais rentrer juste après. D’autres personnes attendent à la porte…» Un correspondant à 300 km de la rédaction nationale d’une chaine de télé, est-ce bien nécessaire ?

Quel est le rôle d’un correspondant de France 2 à Bruxelles ?

Historiquement, c’est un poste lié aux affaires européennes qui a beaucoup évolué depuis 10 ans, et plus encore depuis que j’y suis. Pour diverses raisons, c’est devenu un poste «Bénélux». On va aussi beaucoup aux Pays-Bas faire des sujets de société, économique, politique… C’est plus facile d’aller à Amsterdam dans la journée au départ de la Belgique. Récemment, la zone a été élargie à l’Europe de l’Est pour des sujets liés à l’Europe mais sur le terrain (la zone est partagée avec les correspondants de France 2 à Berlin et à Rome, NDLR). Mais la rédaction est essentiellement présente pour être au plus près de institutions européennes. Mine de rien, c’est plus facile à traiter en étant à Bruxelles qu’en restant à Paris.

Est-ce un luxe en 2020 quand on sait que la RTBF n’a plus de correspondant à Paris ?

C’est la grande fierté de France Télévisions, et on se bat pour que nous puissions le rester. Nous sommes 9 à travers le monde (dont 2 rien qu’à Washington). Nous estimons qu’honnêtement, on sent mieux les choses en y vivant. Je sais faire des sujets du quotidien sur la Belgique parce que j’y vis. L’an dernier, je ne suis allé que 3 fois à Paris. TF1 a fait le choix inverse en supprimant tous leurs bureaux sauf Washington, et je pense qu’ils le regrettent un peu parce qu’ils envisagent d’en rouvrir. Nous étions contents d’avoir quelqu’un en Chine et en plus à Wuhan. Il est resté totalement confiné pendant plusieurs mois ce qui a permis d’avoir de bons sujets pour les JT. Il n’y a pas de secret, on ne fait que des bonnes choses en étant sur le terrain, pas en faisant des aller-retours sur la journée même si Paris n’est pas loin.

Vous allez changer de bureau ?

Pour l’instant, je rentre à Paris. Il n’y a pas de bureau de libre. Et ça me va plutôt bien de repasser par le siège où en cinq ans, pas mal de choses ont changées. Je crois que je ne dois plus y connaitre grand monde.

A votre arrivée à Bruxelles, ça vous a surpris de découvrir que les Belges sont si intéressés par l’actualité française ?

Oui, je dois l’avouer. (rires) J’étais presque agacé de voir que les grands quotidiens belges mélangent les papiers belges et l’actu française en la sortant des pages internationales. Ici, ce qu’il se passe dans l’Hexagone est totalement intégré. J’avais été amusé de voir que les Belges connaissaient mieux Ségolène Royal que leurs 4 Ministres de l’environnement. Ça m’amuse et ça m’attriste un peu parfois. Il y a une vie politique en Belgique et c’est bizarre de s’intéresser à nos personnalités politiques qui ne sont parfois pas très exemplaires…

C’était compliqué d’expliquer la Belgique aux Français ?

Oui. A chaque fois que j’en parle, je suis obligé de rappeler les particularités institutionnelles de la Belgique, et quand votre duplex ne fait que 50 secondes, c’est vraiment compliqué. Dans un reportage de 2 minutes, on doit prendre 30 secondes pour rappeler qu’il y a 3 régions, avec leurs parlements,… Parce que c’est très différent de la France où la région n’a pas beaucoup de pouvoir et reste un niveau politique accessoire.

Qu’est-ce qui vous a marqué durant ces 5 années passées à Bruxelles ?

D’un point de vue professionnel, c’est la complexité de travailler avec les institutions européennes. Elles reprochent aux médias français de maltraiter l’actualité européenne. Mais j’aurais bien voulu qu’elles se remettent parfois en question avec une façon de communiquer assez archaïque et très verrouillée. C’est très pénible pour nous. Ce qui m’a aussi marqué, c’est que je suis arrivé à Bruxelles, un mois avant les Attentats de Paris. Je n’avais pas encore tout à fait reçu mes meubles que je devais faire des duplex à Molenbeek et que j’y ai passé mes jours et mes nuits. Ca je ne l’avais pas prévu comme ça, mais c’était passionnant. Ensuite, il y a eu les Attentats de Bruxelles.

Vous le prononcez bien Molenbeek

J’ai dû m’habituer ! (rires) L’autre surprise, c’est que je doit être le seul des neuf correspondants de France Télévisions dont les autochtones regardent le «20H». Que ce soient mes confrères à Pékin ou à Washington, ils peuvent dire les plus grosses bêtises par méconnaissance des choses, ça passera. A Bruxelles, on est très surveillé par les Belges. Comme tout le monde, au départ, je disais Molenbèque, et je me suis fait vite reprendre sur les réseaux sociaux. Ca rend la chose sympa, car ce n’était pas méchant de votre part.

Professionnellement, c’est un choix d’être correspondant ?

Oui, il y a plus de vingt ans quand j’ai passé les concours de journalisme on m’a demandé ce que je voulais faire, et j’ai répondu que je voulais être correspondant pour France 2 à Londres. J’ai finalement eu Bruxelles, et j’ai adoré. Pour moi, c’est la meilleure façon de vivre ce métier, parce qu’on travaille aussi sur des secteurs très différents de l’économie au sport. J’ai pu suivre la Coupe du Monde depuis une Fan Zone à Stockel. J’étais sur le Départ du Tour de France 2019, j’ai eu l’honneur de rencontrer le Roi et la Reine… C’est très enrichissant.

C’est plus facile de faire le métier en Belgique ?

Oui. Après le lockdown qui a suivi les attentats, on a fait un direct devant une école, et ça s’est passé sans problème. En France, il aurait fallu l’autorisation des professeurs, des parents, du rectorat… On est aussi mieux accueilli quand on veut faire un micro-trottoir. Les choses sont moins compliquées et les gens se prennent moins la tête. Même entre confrères, je me suis fait des amis à la RTBF et RTL. Quand je suis arrivé, je n’étais pas très fier, et il y a eu de l’entraide entre confrères. A Paris, il y a de la sympathie entre journalistes mais on sent quand même que la concurrence est là.

La question qui fâche : vous êtes plutôt pro-Bruxelles ou pro-Strasbourg ?

J’assume totalement pour Bruxelles. Pour moi, conserver un parlement à Strasbourg reste une aberration, et je sais que je vais me faire pleins d’ennemis dans le monde politique à Paris. C’est une perte de temps, d’énergie et ça coute très cher. Il y a 30 ans, ces voyages étaient amusants, aujourd’hui, on ne peut plus se le permettre.

Vous avez envie d’aller où maintenant ?

Là, je reviens comme Grand reporter au service Enquêtes et reportages de France 2, mais je ne suis fermé à aucun autre bureau à l’étranger. J’ai une fascination pour Londres et un intérêt personnel pour Washington, parce qu’il s’y passe est assez dingue. Ou je trouverais passionnant de partir en Asie.

Vous avez appris le néerlandais pour venir ici ?

Joker… Non, on ne demande pas non plus de parler mandarin pour aller à Pékin… J’avais envie d’apprendre le néerlandais, et je dois reconnaitre que c’est un truc que j’ai un peu raté durant mes cinq ans, parce qu’à fréquenter des voisins et des amis belges qui au bout de 40 ans ne le parlent pas non plus, ça ne m’a pas motivé. Vu de l’extérieur, c’est un peu dommage le manque de bilinguisme, et par conséquent la pléthore d’anglicismes que l’on voit un peu partout en Belgique. Ca m’a frappé au début….

Entretien : Pierre Bertinchamps

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